Van Gogh révélé par Millet

PARIS - C’est bien connu, Van Gogh fait courir les foules, et chaque nouvelle rétrospective est l’occasion pour les musées de regarnir leurs caisses. L’exposition d’Orsay se distingue cependant de ces traditionnelles grands-messes en ce qu’elle a un propos : l’étude de l’impact de Millet sur Van Gogh. Un sujet susceptible de s’élargir à la question plus générale des influences qui ont guidé les recherches du peintre des Tournesols, depuis Rembrandt jusqu’au Japonisme, en passant par Delacroix, Gauguin et Pissarro.

L’autre bonne surprise réside dans la muséographie. Pas de scénographie alambiquée ni de couleurs envahissantes. Les quelque 80 tableaux, pastels et dessins sélectionnés se répartissent sur les murs des salles, regroupés par thèmes et selon un déroulement en gros chronologique. Seules les somptueuses Nuit étoilée de Millet et Vincent – respectivement datées de 1855-1867 et 1888-1889 – bénéficient d’une cimaise-écrin dans une pièce à part, en fin de parcours. Cette sobriété laisse toute sa place à l’accrochage, rigoureux et rythmé, qui porte un regard croisé sur les deux peintres.

“Les parques du paupérisme”
Une première salle, autour de figures paysannes, évoque les débuts de Van Gogh avant son arrivée à Paris, en 1886. De Millet qu’il admire jusqu’à le choisir pour guide spirituel et artistique, Vincent l’autodidacte connaît la plupart des pastels, exposés en 1875 à la vente Émile Gavet. Il possède aussi de nombreuses reproductions en noir et blanc.

Il cherche alors visiblement à restituer l’approche monumentale et humaine de Millet, magnifiquement illustrée par l’Angélus, le Paysan se reposant sur sa houe ou encore les Glaneuses, en qui un détracteur avait vu “les trois Parques du paupérisme” aux “prétentions gigantesques”. Confrontées à ces pièces maîtresses, les études à l’huile ou au crayon du jeune artiste montrent “la difficulté que Van Gogh éprouve à saisir les silhouettes, à les mettre en mouvement, et surtout à les articuler entre elles dans une composition ambitieuse”, explique l’un des deux commissaires de l’exposition, Louis Van Tilborgh, conservateur en chef du Musée Van Gogh à Amsterdam.

Ainsi, malgré d’évidentes affinités d’inspiration, de cadrage et même de coloris, cette section met paradoxalement en lumière les différences entre les deux peintres. À la sérénité des figures résignées et des doux paysages atmosphériques de Millet, répondent les distorsions expressives des têtes de paysans de Nuenen, mélange de maladresse et d’originalité profonde.

L’épigone devenu maître
Mais dès la deuxième salle, consacrée à la spiritualité implicite des thèmes ruraux, le disciple dépasse le maître. Malgré le sentiment d’échec que Van Gogh retient de ses efforts pour interpréter l’image du Semeur, sa version de 1888, certes plus petite et moins monumentale, n’en constitue pas moins un sommet de l’art moderne, aux côtés de l’Église d’Auvers-sur-Oise  et At Eternity’s Gate (1890), où il se met à sculpter ses motifs à même la couleur.

Si, entre 1886 et 1889, la leçon impressionniste a permis au peintre de s’affranchir un peu de son modèle, ses séjours dans les  asiles de Saint-Rémy-de-Provence et d’Auvers-sur-Oise le ramènent à ses premières amours. Théo lui envoie des photographies et des gravures d’œuvres de Millet, que Vincent met au carreau et transcrit librement en couleurs. Un mur entier évoque la série des Travaux des champs des deux artistes, avec, en contrepoint, la planche gravée de Jacques Adrien Lavieille. Assez vite, cet exercice de style prend une nouvelle ampleur et donne naissance à des compositions monumentales, vibrantes et vigoureuses, de purs chefs-d’œuvre, comme l’Hiver aux corbeaux ou la Sieste.

Le rapprochement entre les deux artistes aurait pu être cruel. En fait, il offre, dans les dernières salles, l’occasion de découvrir de superbes pastels de Millet. Au lieu d’éclipser l’auteur de l’Angélus, Van Gogh propose des clés de lecture mettant en valeur les innovations de celui qui lui apprit le mieux “à regarder et trouver une foi”.