MARSEILLE
Artiste d’origine cherokee, Jimmie Durham mène depuis les années 1970 un travail aux résonances identitaires, marqué par l’assemblage de matériaux hétéroclites et souvent pauvres. À Marseille, il propose un bilan du parcours qu’il a accompli ces huit dernières années en Eurasie, agençant à l’échelle du musée une centaine de pièces, balises dans un jeu de piste pour flâneurs.
MARSEILLE - L’œuvre de Jimmie Durham est souvent considérée en rapport à ses origines cherokee. Depuis les années 1970, il n’a d’ailleurs jamais manqué d’affirmer cette identité, jusqu’à préférer le militantisme à son œuvre. Dans les années 1980, la poétique reprend pied dans la politique et les travaux de Durham interrogent les fantasmes des oppresseurs et des oppressés dans des renvois violents du racisme et de la négation culturelle dont sont victimes les Amérindiens. Encore aujourd’hui, un de ses triptyques daté de 1998 est un pense-bête : trois toiles où trois pierres (du quartz, de l’azurite et de la calcite) sont accrochées au-dessus d’un texte qui fait référence au sort des Indiens des États-Unis, du Brésil et du Mexique. Pourtant, baptisée “From the West Pacific to the East Atlantic”, l’exposition qu’il présente actuellement au [Mac]/galeries contemporaines de Marseille prend ses distances avec l’Amérique. Devançant des escales prévues à La Haye et Gateshead (Angleterre), elle est un bilan de l’épisode “eurasien” de Durham, un regard rétrospectif sur ses lieux de résidence et son travail depuis 1994.
“Comme je l’ai déjà dit ailleurs, je ne pourrais pas devenir un Français ou un Allemand, ni même quelque chose d’aussi vague à mes yeux qu’un Européen, déclare l’artiste dans le catalogue de l’exposition (à paraître). Je pourrais, en revanche, devenir une sorte d’Eurasien, puisque l’Europe n’est pas un lieu clairement définissable, en tout cas pas un continent. Le continent, c’est l’Eurasie, assez vaste pour englober les apparentes anomalies.” L’Europe serait alors juste ce mot que l’artiste a photographié dans le métro, devant des magasins et évidemment aux frontières. Car, partout ailleurs, son œuvre engendre le transit et la circulation, jusqu’à son Arc de triomphe for Personal Use (1997), monument portatif muni d’une roue.
En tout une centaine de sculptures, peintures ou vidéos sont agencées à Marseille dans un accrochage qui prend des allures de jeu de piste. Enroulé à l’entrée, le câble de 200 Meters of Pure, Powerful Steel to the Point (1998) court de salle en salle avant de s’achever par une pointe de silex, dessinant alors une flèche qui semble repartir aussitôt dans une autre sculpture attenante composée de tubes de PVC. Le tube en plastique induit chez Durham le mouvement et l’évacuation – les eaux usées, l’enfoui ou le refoulé. Il peut être mis en boucle (Standing around, 1996), prendre des tournures anthropomorphes (Garçon, garou, gargouille, 1994), tout en se rapportant comme nombre des matériaux utilisés par l’artiste (bois, pierre, ciment) à l’idée de la construction, du bâtiment. L’architecture, considérée comme le domaine du pouvoir, est une cible pour Durham : Nature morte (2000) montre une maquette de maison-témoin explosée par une pierre. Le geste se répète dans d’autres natures mortes. Tables et chaises volent en éclats, fracassées par une action qui tient autant de la sculpture que de la colère. Parfois, la destruction se fait plus symbolique, comme pour A Stone from Metternich’s House in Bohemia (1996) et sa vitrine de musée éclatée par une pierre au pedigree historique. Le Conte et les sept petites rochettes (1999) aligne une rangée de téléviseurs pour un sacrifice rituel.
Exposé à côté d’une vidéo qui retrace sa lapidation à coup de pavés, le Saint Frigo (1996) a lui aussi souffert. Cabossé, le réfrigérateur blanc prend dans sa posture de martyr un caractère mystique, droit comme un totem, esquinté comme un fétiche. La maquette d’Une sculpture publique pour l’anniversaire de Rome (1997) exprime par le soin apporté à l’assemblage d’un tas de déchets miniaturisés un sentiment comparable. “Un tas de détritus est presque toujours intéressant, explique l’artiste. On voit notre histoire avec un regard de voyeur innocent, c’est-à-dire dénué d’arrière-pensée.”
Les souvenirs du voyage eurasien de Jimmie Durham ont des accents baudelairiens : “Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale. Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts.” (Du vin et du haschich.)
Jusqu’au 1er juin, [MAC]/Galeries contemporaines des musées de Marseille, 69 avenue de Haïfa, 13008 Marseille, tél. 04 91 25 01 07, tlj sauf lundi, 10h-17h, catalogue à paraître.
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Union eurasienne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Union eurasienne