Une scène afro- américaine inédite

Présentée sur deux étages, elle débute par l’engagement militant des artistes noirs victimes de racisme. La toile de Norman Lewis, qui répond de prime abord aux codes de l’expressionnisme abstrait (America Beautiful, 1960), cache en fait les silhouettes de membres du Ku Klux Klan en train de défiler, vision hantée en noir et blanc et donne ainsi le ton d’un accrochage inspiré. Spiral Group, Kamoinge Workshop, Black Emergency Cultural Coalition, Africobra, OBAC, tous ces groupes germent à New York, Chicago et Los Angeles, et entrent en résonnance avec l’appel à la résistance du Black Power lancé en 1965 par Stokely Carmichael (alias Kwane Ture). Toiles, posters, sculptures, photographies, collages, toutes les formes de médiums expriment le désir de lutter contre cette ségrégation qui assaille la communauté noire américaine. Elle se transforme, brandit ses racines africaines, à la conquête d’une identité qui puisse l’affranchir de ce passé d’esclave. Le poing serré de cèdre sculpté par Elizabeth Catlett symbolise cette volonté et l’énergie d’une scène largement méconnue du public comme des initiés. Le second étage est moins militant, mais tout aussi captivant, rassemblant des artistes qui se sont penchés sur des problèmes artistiques : Hard-Edge pour le peintre William T. Williams et le sculpteur Daniel LaRue Johnson, figuratif pour les singuliers portraits sur fond monochrome de Barkley L. Hendricks, optique avec la sculpture hypnotique de Fred Eversley, chorégraphique pour Houston Conwill. Tous sont des découvertes parmi les soixante artistes et quelque cent cinquante œuvres exposées dans ce panorama. Reste alors à organiser des monographies substantielles de ces artistes longtemps minorés par des institutions dirigées par des Blancs. À partir de cette mise en contexte brillante qui montre une scène artistique américaine inédite, complexe, les simples enjeux d’une esthétique noire sont dépassés pour plonger dans l’identité d’une nation afro-américaine.