Le 13 septembre dernier, après vingt-cinq années d’interruption, les travaux ont repris sur le chantier de l’église Saint-Pierre à Firminy, dans l’agglomération stéphanoise. Ce maillon du quartier de Firminy-Vert, conçu par Le Corbusier à partir de 1954 comme une alternative à la ville industrielle, était demeuré depuis lors dans son état d’inachèvement, tel un bunker de béton brut abandonné.
Eugène Claudius-Petit, maire de Firminy de 1953 à 1971, à la tête d’une commune à fort potentiel de croissance démographique, peut enfin offrir à l’architecte, alors au faîte de sa gloire mais écarté des grandes commandes publiques, un chantier à sa mesure. Dès 1958, Le Corbusier reçoit la commande de plusieurs édifices : une maison de la culture et un stade, puis une église et une unité d’habitation. La maison de la culture, surplombant le stade (achevé par André Wogenscky), est inaugurée en 1965, alors qu’est posée la première pierre de l’unité d’habitation. Trois mois plus tard, à la fin août, Le Corbusier disparaît brutalement : l’église n’est encore qu’à l’état d’étude. Mais le matériel intellectuel et technique existe entre les mains de son jeune assistant, José Oubrerie, collaborateur depuis le lancement des travaux à Firminy. Oubrerie a suivi toutes les étapes d’élaboration du projet de 1961 à 1964 : c’est lui qui en construira le gros œuvre.
La formule retenue diffère de celle de Ronchamp, la seule église jusque-là construite par Le Corbusier. Sur le terrain donné par la municipalité pour un franc symbolique, contre un droit de regard sur l’architecture, Le Corbusier renonce au porte-à-faux, mis en œuvre à Ronchamp, au profit d’une grande coque de béton tronconique de 29 mètres. Desservie par une rampe, celle-ci abrite l’église proprement dite et repose sur un soubassement de plan carré destiné à accueillir les salles paroissiales.
Cet étonnant volume, entre haut-fourneau et observatoire spatial, doit être le signal architectural du quartier.
Mais ce geste n’est pas du goût de tous. Alors qu’en 1971 la première pierre vient d’être posée sous la direction de José Oubrerie, Eugène Claudius-Petit, le principal promoteur du projet, perd la mairie. En 1976, les cinq premiers niveaux sont achevés quand le chantier s’interrompt, alors que les fonds, fruit d’une souscription du comité paroissial, sont réaffectés par l’évêché. Comme dans le cas de
la villa Savoye en 1959, c’est la mobilisation d’architectes, d’intellectuels et de militants qui permettra le sauvetage de l’édifice. En 1980, la revue Architecture lance une souscription internationale destinée à recueillir les quatre millions de francs nécessaires à l’achèvement de l’église.
Mais les réticences sont d’un autre ordre : Théo Vial-Massat, le maire victorieux de Claudius-Petit, fait peser des menaces de destruction. Le ministère de la Culture entre dans la bataille : l’avenir du plus grand ensemble Le Corbusier en Europe sera scellé par plusieurs procédures de classement : 1984 maison de la culture et stade, 1993 unité d’habitation, 1996 église.
L’église demeure toutefois inachevée. Dino Cineri choisit de relancer la construction dès son élection à la mairie en 2001. Faute de budget suffisant, il sollicite la communauté d’agglomération Saint-Étienne-Métropole afin qu’elle devienne propriétaire de l’église et qu’elle assure la maîtrise d’ouvrage des travaux (estimés à 6,8 millions d’euros). Initiés en septembre dernier, ils seront de deux natures : une restauration de la partie classée, menée par Jean-François Grange-Chavanis, architecte en chef des monuments historiques, suivie de l’achèvement de l’édifice (construction de la coque et finitions), réalisé sous la direction de José Oubrerie, installé aux États-Unis, en liaison avec l’agence stéphanoise l’Atelier de l’Entre. Restait toutefois à définir une affectation au bâtiment, la partie supérieure étant rendue au culte, les salles basses n’avaient plus d’utilité pour la paroisse, déjà équipée. Les 900 mètres carrés de salles deviendront une antenne du musée d’Art moderne de Saint-Étienne. « Les expositions qui s’y tiendront devraient s’articuler autour de deux grands axes : la période d’élaboration du projet, c’est-à-dire les années 1950-1970, et l’intervention de jeunes créateurs qui devront tenir compte de la spécificité du lieu », précise Jacques Beauffet, conservateur au musée d’Art moderne.
Ainsi Firminy-Vert pourra clore la page de cette épopée architecturale, en ambitionnant un classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Néanmoins, une question délicate demeure. Qu’en est-il en effet de l’authenticité d’une œuvre que Le Corbusier n’aura jamais construite ? Pour Yvan Mettaud, conservateur du patrimoine Le Corbusier à Firminy, le débat est réel. « Intellectuellement, ce chantier, très documenté par l’architecte, ne pose pas de problème, d’autant plus que José Oubrerie y a été associé dès sa genèse. Mais des questions se poseront inévitablement sur le chantier et il y aura des choix à faire, d’autant plus que les techniques utilisées différeront en partie de celles de l’époque. Fallait-il dès lors sacraliser le bâtiment dans son inachèvement, en le protégeant d’un cube de verre à la proportion du Modulor ? Peut-être, mais il existe une dynamique locale que l’on ne pouvait pas négliger. » Il suffit de relire la lettre écrite par Le Corbusier le 28 janvier 1965 au père Tardy, pour achever de se convaincre : « J’ai été chargé d’un travail. Je l’ai fait en conscience. J’ai accepté, avec humilité […] de recommencer tout quand j’étais parti sur un programme trop largement vu. J’ai fait des plans détaillés et précis et les maquettes d’études. J’ai permis la discussion avec l’entreprise. J’ai lutté avec des matériaux, les formes, l’entreprise. J’ai rempli toutes les conditions du contrat. J’ai fait mon travail. Je me sens plus lié que jamais à cette œuvre qui est nôtre… Et je ne peux pas envisager autre chose à présent que l’ouverture du chantier, pour la plus grand joie spirituelle de tous. »
Patrimoine Le Corbusier, FIRMINY, (42) : église Saint-Pierre, unité d’habitation, stade et maison de la culture, tél. 04 77 56 07 07.
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Une résurrection corbuséenne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Une résurrection corbuséenne