Encore célébrée au XXe siècle comme un mythe de femme fatale, « la Castiglione », ayant acquis sa réputation sulfureuse sous le Second Empire, trompa son long ennui en se faisant photographier dans des postures qui lui donnaient au moins l’illusion des rôles dont elle avait rêvé. Un moment exceptionnel du portrait photographique devenu obsession d’une aristocrate ambitieuse, revivifié au Musée d’Orsay par Pierre Apraxine, conservateur de la Gilman Paper Collection à New York.
PARIS - Arrivée à Paris en 1856, à 19 ans, avec son mari, envoyée par Cavour pour convaincre Napoléon III d’apporter son appui à la jeune Italie, la très belle comtesse – les photographies en témoignent – s’acquittera de sa mission en devenant pour quelques mois l’une des maîtresses de l’Empereur : son apparition en costume de Dame de cœur avait fait sensation. Mais cette aventure extraordinaire lui ayant fait d’emblée atteindre le sommet de la mondanité et de la séduction – de l’époque –, elle ne pouvait, sa vie durant, que tenter d’en retrouver ou reformuler l’éclat. Cette vie, du reste, qu’elle terminera en recluse dépressive place Vendôme, puis rue Cambon où elle meurt en 1899, ne lui en apportera que des reflets d’insatisfaction.
Détestée du tout Paris
Rentrée à Turin en 1857, mais de retour à Paris dès 1861, séparée de son mari puis veuve, elle ne retrouve, très temporairement, ses invitations aux Tuileries qu’en 1863, où elle se présente à un bal en Reine d’Étrurie. On comprend alors ce que sa brève, inaboutie et surestimée vocation politique, prolongée par diverses liaisons amoureuses avec des diplomates et une idylle avec Thiers, doit à un mélange d’intrigue et de séduction qui ne tient qu’à la préservation d’une beauté naturelle et à l’exploitation des ressources du luxe et de l’apparat.
Manifestement détestée du Tout-Paris pour son arrogance, tenue à l’écart sous le Second Empire déjà, la comtesse n’a vécu des succès imaginaires que par la photographie. Sur trois périodes, brèves également (1856-58, 1861-67 et 1893-95), elle constitue une exceptionnelle collection de portraits d’auto-célébration, tous exécutés par Pierre-Louis Pierson, fondateur d’un des plus importants ateliers du Second Empire, Mayer et Pierson, “photographes de l’Empereur”. Une telle collaboration avec un praticien de renom, qui officie chez elle et à la demande, se prêtant à ses caprices de théâtralisation, est tout aussi inhabituelle, même dans cette grande époque qui a vu la naissance du portrait photographique des Nadar, Carjat, Disdéri et autres. Plus de 400 photographies, 176 poses en 40 séances dans les années les plus prolixes (1861-1867) – la majeure partie étant des portraits dans des robes somptueuses ou des costumes appropriés à des rôles de théâtre –, il n’y a pourtant pas de monotonie dans la vaste exposition du Musée d’Orsay, car seule compte l’inventivité de la représentation narcissique. Elle donnait elle-même des titres aux images (L’Ermite de Passy, La Frayeur, L’Assassinat, Funérailles). Plus que d’excentricité ou d’extravagance, la Castiglione fait preuve d’une obsession de la mise en valeur de sa personne par les atours, par des poses alanguies, ou inconvenantes pour une telle position sociale : couchée sur le plancher, ou en tenue de nuit ; elle serait même allée jusqu’à se dénuder.
Un souci de se surpasser dans l’image
La photographie peinte, rehaussée de couleurs à la gouache ou à l’aquarelle – jusqu’à recouvrir parfois totalement la photographie –, spécialité de Mayer et Pierson, est aussi poussée jusqu’à la frénésie, par rapport aux habitudes d’époque, la comtesse donnant elle-même les indications précises des coloris (elle y aurait peut-être mis la main également). De fait, cet ensemble délirant par la prolixité et par l’exubérance, destiné à la seule satisfaction égocentrique – elle n’aurait offert que quelques albums à des amis –, n’est comparable à rien d’autre. Les poses altières avec son unique fils promis à une figuration désespérante, le calcul de son regard visible dans un petit miroir à main, ou l’œil cerné dans l’ovale d’un cadre de velours noir (Scherzo di Follia) montrent un souci de se surpasser dans l’image, que l’on retrouve sur un ton beaucoup plus sinistre à la fin de sa vie.
L’outrance – pour cette époque prude, encore une fois – survient quand la comtesse fait photographier (et fait aussi exécuter des moulages) de ses pieds ou ses jambes nues, tabou érotique du Second Empire.
La Castiglione mourra, mentalement assez déséquilibrée, avant d’avoir vu aboutir son projet de présentation à l’Exposition universelle de 1900 de 500 photographies de “la plus belle femme du siècle”. Sa collection sera rachetée par un véritable excentrique qui professe la même autosatisfaction, avec moins de talent dans l’opiniâtreté, Robert de Montesquiou (1855-1921). Si ses piètres qualités artistiques ne devraient suffire à lui ouvrir les portes du musée, on peut supposer qu’il doit ainsi à la comtesse de la côtoyer dans ce lieu : photographiquement, cela se tient, puisqu’il cultiva lui aussi la manie des albums de portraits, mais ce prolongement n’est qu’un contrepoint mineur du panache de sa devancière.
Jusqu’au 23 janvier, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-21h45, dimanche 9h-18h. Informations : Minitel 3615 ORSAY ou Internet : www.musee-orsay.fr
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Une obsession de l’image
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Une obsession de l’image