AIX-EN-PROVENCE
L’exposition à l’hôtel de Caumont qui lui est consacrée ne révolutionne pas la connaissance que l’on a de l’artiste, mais elle offre une belle occasion de redécouvrir son œuvre.
Aix-en-Provence. De beaux prêts, un accrochage soigné, des panneaux explicatifs clairs et compréhensibles, que demander de plus ? Certes, l’exposition organisée dans ce lieu feutré qu’est l’hôtel de Caumont ne bouleverse pas notre regard sur Yves Klein (1928-1962). Cela serait d’ailleurs une tâche difficile pour un artiste qui a eu les honneurs de deux rétrospectives au Centre Pompidou (1983 et 2006). L’exposition aixoise permet toutefois de se familiariser avec une des productions plastiques les plus originales du XXe siècle. Les organisateurs ont fait le choix d’un parcours chronologique qui met en rapport l’œuvre avec les événements et les artistes qui ont marqué Yves Klein. Si l’histoire de l’art récente considère avec mépris les études comparant « l’homme » et « l’œuvre », dans le cas de Klein, lui qui déclarait qu’« un peintre [devait] peindre un seul chef-d’œuvre : lui-même », toute tentative de séparation entre la vie et la pratique artistique rend l’œuvre impénétrable.
Yves Klein, Joseph Beuys, Andy Warhol et surtout Marcel Duchamp font partie de ceux qui ont réussi à ériger leur vie en œuvre d’art. Mieux encore, en devenant un personnage public, une personnalité du monde de l’art, bref en fabriquant une mythologie personnelle, tous se sont transformés en légendes. On pourrait même dire que le titre de l’exposition « Klein, intime » est légèrement trompeur car tous les gestes de ce dernier, volontairement ou non, achevaient leur trajet dans l’espace public.
Les commissaires – Cecilia Braschi, responsable des expositions, et Denys Riout, historien de l’art – mettent en scène la grande variété des activités de Klein tout en cherchant à montrer sa cohérence. Plusieurs thèmes sont ainsi déclinés : l’immatériel, le monochrome, les techniques particulières ou encore la célèbre couleur bleue. Cette dernière est devenue la marque de fabrique de l’artiste. Littéralement, car les trois lettres qui forment le sigle IKB (International Klein Blue) et qui ont scellé le destin de l’artiste niçois furent véritablement une marque déposée. Avec le brevet pour sa couleur (19 mai 1960), qui en fait l’utilisateur privilégié, Klein fait « son entrée en Bourse » des valeurs esthétiques. Ce n’est pas uniquement le processus de fabrication d’une invention chromatique que l’artiste revendique, mais, avant tout, son alter ego plastique, le sigle même de sa notoriété.
Ainsi, un bac de pigment pur bleu à l’entrée de l’exposition plonge immédiatement le visiteur dans l’univers de l’artiste et se prolonge par plusieurs monochromes de la même couleur. Non pas que Klein soit l’inventeur de cette forme d’abstraction radicale ; déjà en 1920, Alexandre Rodtchenko réalise trois monochromes, suivis dans les années 1950 par Robert Rauschenberg et Ad Reinhardt. Mais les travaux de celui qui s’autoproclame « Yves le Monochrome » tentent le grand écart entre l’aspect matériel de la poudre qui forme une surface irrégulière et l’intensité radiante de cette teinte qui semble se diffuser dans l’espace. Selon lui, le monochrome serait l’équivalent pictural du vide, la couleur capable de créer un effet de dématérialisation. « Malheur au tableau qui ne montre rien au-delà du fini », cette affirmation de Klein ne s’arrête pas à ses toiles. Qu’il s’agisse de ses éponges, de son décor pour le foyer de l’Opéra de Gelsenkirchen, en Allemagne (1959), ou de ses « Pinceaux vivants », jeunes filles enduites de pigments qui laissent l’empreinte de leur corps sur papier (1960), selon l’artiste, l’immatériel n’est jamais loin. Libre au spectateur de partager cette sensation. Ces jeunes modèles nommés les « Anthropométries » sont particulièrement bien présentés à l’hôtel de Caumont [voir ill.]. Ces suaires d’azur sont comme la version sophistiquée et érotisée d’un geste qui remonte à l’enfance de l’art : les traces anonymes que l’on trouve dans la grotte de Lascaux.
L’utilisation de la chair comme support de la matière picturale et outil du peintre place l’œuvre de Klein sous le signe de l’alchimie. Nombreuses, en effet, sont ses activités qui visent à une modification de la substance des matières. Ceci implique souvent l’intervention de deux éléments : le feu et l’air. Le feu quand le pinceau est remplacé par un bec brûleur, dessinant comme des empreintes en creux. L’air comme l’expérience du vide ; on connaît le spectaculaire saut dans le vide et sa reproduction photographique, en réalité un photomontage, devenue l’un des emblèmes de l’avant-garde des années 1960.
Sur le plan personnel, l’exposition présente deux tableaux réalisés par les parents d’Yves, Marie Raymond et Fred Klein, artistes eux-mêmes ou une toile de Christo représentant le mariage de Klein avec Rotraut. Les travaux de ses confrères et amis, avant tout les Nouveaux Réalistes sont moins anecdotiques, avec une mention spéciale à Store poème (1962), une collaboration entre Klein, Arman, Claude Pascal et Pierre Restany, jamais montrée en France. À ce propos, on peut regretter le peu de témoignages sur l’échange entre Klein et les avant-gardes italienne et allemande.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Une mini rétrospective, incarnée, d’Yves Klein