PARIS
En 1957, Klein met au point avec Adam, marchand de couleurs de Montparnasse, un bleu outre-mer qu’il appelle IKB. Célèbre dans le monde entier, ce bleu est peu à peu devenu le sceau de l’artiste.
«D’abord il n’y a rien, ensuite il y a un rien profond, puis une profondeur bleue. » Ces quelques paroles empruntées au philosophe Bachelard, Yves Klein en a fait sa profession de foi. Le bleu est à Yves Klein ce que les nymphéas ou la montagne Sainte-Victoire sont à Monet ou à Cézanne : le prétexte à picturaliser le monde. Motif et motivation tout à la fois. Le choix qu’en a fait l’artiste tient à la quête de l’espace qui fonde toute sa démarche. « Je prévois aujourd’hui, pour l’avenir, écrivait-il, que la réelle manière de visiter l’espace, plus loin, infiniment plus loin que notre univers solaire et autre univers, sera non pas des fusées, rockets, ou des spoutniks, mais par imprégnation. »
Au départ, des monochromes peints au rouleau
Une fois le bleu définitivement choisi, Klein en a tout d’abord recouvert une série de toiles montées sur d’épais châssis, appliquant la couleur à l’aide d’un Roulor, véritable rouleau de peintre en bâtiment. Non seulement sur toute la surface du champ iconique, mais aussi sur les côtés du tableau.
Les monochromes de Klein s’offrent ainsi à voir comme des dalles de peinture pure qui font écran et dont la résistance force le regard à la contemplation. Leur pouvoir de concentration est inversement proportionnel à ce qu’ils suggèrent un espace dilaté et infini.
Des éponges, comme pour s’imprégner du monde
Yves Klein prétendait que la phase de son art la plus importante était le cannibalisme. L’usage qu’il a fait très tôt du matériau éponge en est assurément la meilleure illustration. Il l’a notamment employé à la réalisation de nombreux reliefs monochromes dont la surface mamelonnée est alors apparue comme la métaphore d’une géographie inconnue, à l’époque même où l’on découvrait la face cachée de la lune.
Du mois d’octobre 1958 au mois d’octobre 1959, Yves Klein a ainsi décoré de ses éponges, de façon monumentale, le hall du nouvel Opéra de Gelsenkirchen à Düsseldorf, dans la Ruhr, réalisant deux immenses monochromes de 7 x 20 mètres et deux reliefs éponges de 5 x 10 mètres.
Poursuivant ses recherches, Yves Klein a mis l’éponge imprégnée de sa couleur fétiche à l’épreuve de toute une production de sculptures élémentaires aux allures de concrétions d’un monde et d’un âge autres. Fichées sur un axe, elles ressemblent parfois à de drolatiques ou d’inquiétantes figures, familières de certaines œuvres façon art brut comme on en trouve chez Dubuffet.
Peint ou moulé, le corps laisse une empreinte indélébile
Côté sculpture, l’art de Klein trouve une autre expression rudimentaire dans la suspension qu’il imagine de différentes tiges monochromes, très fines, décrivant un espace ouvert en forme de Pluie – c’est le titre de l’œuvre – d’une extrême fragilité.
« Le bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres, elles, en ont… Le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible. » Outre les Anthropométries, empreintes de corps appliqués à la surface de la toile, Klein a aussi utilisé le bleu pour composer toute une série de portraits à l’échelle 1 à partir de moulages fragmentaires de ses modèles.
Les Nouveaux Réalistes Arman, Villeglé, Raysse se retrouvent ainsi parmi d’autres, dans le plus simple appareil, tous de bleu recouverts, plaqués sur fond d’or, pérennisés à jamais à la façon d’une icône immuable et sublime.
Repère
Pierre Restany, critique d’art et fondateur du mouvement en 1960, le définit comme un ensemble de « nouvelles approches perceptives du réel ». Réagissant à l’abstraction qui devient académique, la dizaine d’artiste Nouveaux Réalistes a puisé ses techniques et ses matériaux dans la société de consommation : les Compressions d’Arman, les Emballages de Christo, les Tableaux pièges de Spoerri ou les affiches arrachées de Villeglé. Contemporain du Pop Art américain, le Nouveau Réalisme se distingue par son renoncement aux supports traditionnels.
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Le bleu de Klein ou le kidnapping de la couleur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°584 du 1 octobre 2006, avec le titre suivant : Le bleu de Klein ou le kidnapping de la couleur