Art Contemporain - Décidément, le fond de l’art est forain. À la « foire » inaugurée au 104 en septembre et récemment « augmentée » de nouvelles œuvres, répond au CAPC de Bordeaux une exposition d’apparence jumelle : « Barbe à papa ».
Une visite comparée des deux propositions suffit pourtant à mesurer tout ce qui les sépare. À Paris, la lisière entre arts forains et art contemporain a été rendue la plus ténue possible : les œuvres présentées se donnent pour autant d’attractions et de divertissements et sollicitent pour l’immense majorité d’entre elles la participation des visiteurs. Que le chamboule-tout soit signé Orlan, les jeux de miroirs de Julio Le Parc et les gaufres d’Invader ne change pas grand chose à l’affaire : l’ensemble semble bien décidé à congédier tout esprit de sérieux, et à réduire au passage l’écart supposé entre la création actuelle et les publics. Rien de tel à Bordeaux : contrairement à ce que pourrait laisser supposer l’affiche, qui reproduit une sculpture de Thomas Liu Le Lann en forme d’appétissante sucette, « Barbe à papa » distille dans la nef et les mezzanines du CAPC une atmosphère autrement lugubre. Certes, rien ne manque a priorià l’évocation de la fête foraine, ni les montagnes russes (Jesse Darling), ni les manèges (Bertille Bak), ni le camion à glaces (Chila Kumari Burman), ni le stand de tir (Stano Filko), ni l’orgue de barbarie (Mathis Collins). Mais c’est bien une fête détraquée et fantomatique, contaminée par l’inquiétude et suspendue à l’imminence d’une catastrophe que son commissaire veut nous donner à voir. Question de génération sans doute : là où Fabrice Bousteau (commissaire de l’exposition du 104) penche vers l’insouciance, Cédric Fauq situe son thème dans l’histoire de l’art et l’histoire tout court, et joue des multiples couches qui enveloppent le bâtiment où se loge le CAPC (un ancien entrepôt de denrées coloniales, dont la canne à sucre). L’enjeu : souligner « l’ambivalence de la fête foraine » et traquer la mauvaise conscience de l’Occident derrière son kitsch acidulé et bon enfant. « Barbe à papa » devient ainsi la caisse de résonance des questionnements contemporains autour du post-colonialisme et de l’effondrement écologique, jusqu’au vertige. Si l’humour n’en est pas tout à fait absent, il a le grincement d’un manège au seuil de l’avarie et cherche moins à divertir qu’à donner matière à penser, et peut-être à panser.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une fête douce-amère
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Une fête douce-amère