Dans sa volonté de mettre à l’honneur des artistes scandinaves célébrés en leur temps par le public parisien, le Petit Palais propose de redécouvrir l’œuvre du peintre Bruno Liljefors qui a contribué à forger l’imaginaire de la nature sauvage suédoise.
Il a connu au tournant du XXe siècle la gloire des cimaises en Europe – à Paris notamment – et aux États-Unis. Pourtant, si Bruno Liljefors (1860-1939) est resté célèbre en Suède, dans son pays natal, il a été peu à peu oublié en France. Avec la rétrospective inédite « Bruno Liljefors. La Suède sauvage », le Petit Palais ramène à la lumière celui qu’on surnomme « le prince des animaliers ». Avec ses amis Carl Larsson (1853-1919) et Anders Zorn (1860-1920), auxquels le musée a rendu hommage en 2014 et 2017, Bruno Liljefors a formé l’illustre trio « ABC » – A, pour Anders Zorn, B, pour Bruno Liljefors et C, pour Carl Larsson –, qui a profondément marqué l’art scandinave de la fin du XIXe siècle. Comme eux, il rompt avec l’enseignement académique qu’il reçoit à Stockholm et voyage en Allemagne, en Italie avant de séjourner en France, à Grez-sur-Loing, au sud de Paris, où se retrouvent de nombreux artistes nordiques dans les années 1880. « Nous allons peindre nos tableaux directement d’après nature », y écrit-il à Zorn en 1883, en évoquant l’avant-garde française – les peintres de Barbizon, les impressionnistes et surtout les naturalistes. Cette découverte confirme sa vocation de saisir sur le vif l’énergie vitale et la beauté de la nature. C’est l’âme de la Suède, de sa nature sauvage et préservée, que ce lecteur de Charles Darwin s’attache ainsi à révéler : si Carl Larsson et Anders Zorn représentent les corps, les portraits et la vie des hommes et des femmes de leur temps, lui, fait le choix de se consacrer à la nature et aux animaux qui l’habitent. Ce tableau de très grand format, acquis par le Nationalmuseum de Stockholm, l’année même de son exécution (1886), représente une renarde venant de capturer une oie cendrée pour nourrir ses petits dans les sous-bois. Il témoigne de l’art minutieux de ce fin observateur de la nature, qui passe des heures à scruter les animaux et leurs comportements ou grimpe dans les arbres pour observer les nids des balbuzards pêcheurs, comme de sa volonté d’immerger le spectateur dans la nature qu’il représente.
Un renardeau se tient timidement sous sa mère, d’autres plus voraces dévorent l’oie que cette dernière a apportée pour leur repas. Ceux-ci préfèrent jouer avec des plumes. Pas question pour Bruno Liljefors de se contenter de donner à voir une belle image de la nature. Il raconte dans cette toile son observation des sensibilités et des personnalités diverses des petits de la portée. Le peintre s’attache en effet à représenter les animaux pris sur le vif dans leur environnement et leur vie quotidienne : alimentation des petits, chasse ou encore parade nuptiale… « C’est alors assez inédit dans l’histoire de l’art », souligne Sandra Buratti-Hasan, conservatrice du patrimoine au Musée des beaux-arts de Bordeaux, et co-commissaire de l’exposition au Petit Palais. En cela, le peintre s’inscrit dans le sillage des découvertes de Charles Darwin et la publication de son Origine des espèces en 1859, qui irrigue la culture européenne.
Des cerfeuils sauvages semblables à des parasols, des pissenlits montés en graines sur lesquels on a envie de souffler, des trèfles aux fleurs roses… Liljefors représente une nature très sensorielle, dont il peint la végétation avec une très grande précision. Cette végétation printanière correspond au moment où les renardeaux sont sevrés et ont besoin de trouver une nourriture autre que le lait de leur mère : pour Liljefors, les animaux, les plantes, les insectes et les oiseaux participent d’un grand tout. Une peinture naturaliste ? Certes. « Et pourtant, on remarque aussi une tentation du décor dans sa représentation de la végétation, avec des traits de pinceau parfois extrêmement rapides, des touches de couleur pure, appliquées sans mélanges, comme les blancs du cerfeuil, ou des bleus lancés sur le côté pour représenter des feuilles », observe Sandra Buratti-Hasan. Liljefors allie ainsi paradoxalement un grand souci du détail, d’une description très précise de la nature avec le plaisir d’une peinture qui apparaît jetée sur la toile pour elle-même.
Même s’il s’en défend, l’art japonais, la calligraphie, la peinture sur soie et les estampes nourrissent les représentations de Liljefors. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’art et l’artisanat venus du Japon, ouvert au commerce en 1855, devient très en vogue en Europe, et inspire nombre d’artistes. Ici, la végétation qui s’apparente par endroits à un fond d’or, évoque les paravents japonais, souvent laqués à la feuille d’or, comme le fait aussi le format du tableau, horizontal. « Bruno Liljefors aime utiliser des formats originaux, verticaux comme nombre d’estampes ou très allongés », remarque Sandra Buratti-Hasan. Par ailleurs, la composition du tableau se distingue par une absence de perspective – excepté au centre du tableau, avec des jeux de profondeur dans la représentation de la renarde et de ses petits –, et l’absence de ligne d’horizon : ces éléments plongeant le spectateur dans un espace sans profondeur sont caractéristiques de l’art japonais.
Quelle suavité dans le pelage de ce renardeau ! Pour rendre avec son pinceau le velouté des fourrures, dont la texture est évoquée par la trace des poils du pinceau, Bruno Liljefors fond les tons les uns dans les autres – les roux, les bruns, les beiges –, tout en jouant sur les contrastes entre la couleur du museau, des oreilles, des yeux sur lesquels il pose une touche de blanc très précise dans la pupille pour accentuer, par opposition, la douceur des fourrures. Liljefors, qui était aussi chasseur, pouvait scruter les animaux des heures durant, immobile, camouflé dans les hautes herbes ou les feuillages. Il possédait par ailleurs une ménagerie, avec des belettes, des écureuils domestiqués ou encore des hiboux, lui permettant d’observer les animaux. Le « prince des animaliers » s’appuyait également sur des photographies qu’il prenait – en particulier pour les paysages en arrière-plan des tableaux –, et s’inspirait des bêtes qu’il avait fait naturaliser, auxquelles il redonne vie dans certaines compositions.
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Une famille de renards, de Bruno Liljefors
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°780 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Une famille de renards, de Bruno Liljefors