L’empreinte n’est pas un simple thème parmi d’autres dans l’histoire de l’art moderne et contemporain. Pour Georges Didi-Huberman, elle constitue aussi une coupe originale dans la lecture de l’art.
PARIS - L’empreinte est d’abord un geste enfantin et rudimentaire qui se laisse facilement décrire. Fruit mécanique d’un contact entre un objet et un support, l’empreinte a un caractère inévitable et, fossilisée ou éphémère, elle se retrouve en tous lieux et en toutes circonstances. Mais lorsqu’elle est produite intentionnellement, les questions se multiplient et suscitent une problématique complexe qui contraste avec la simplicité du processus lui-même. Le premier mérite du projet de Georges Didi-Huberman est d’affronter le sujet dans toute sa difficulté et de le déployer au-delà des considérations formelles.
Un livre, une exposition
"L’empreinte, écrit-il, est un anachronisme qui traverse l’histoire de l’art d’une façon paradoxale puisqu’elle est, dès le xvie siècle, l’objet d’une censure." "D’emblée, Vasari avait dû rejeter les techniques d’empreinte dans la sphère de la reproduction non-artistique, de la non-intervention artisanale." On ne doit donc pas s’étonner que la question soit rarement traitée. Pourtant, tout un pan de l’art moderne en relève précisément, depuis Rodin jusqu’à aujourd’hui, en passant bien sûr par Marcel Duchamp. Ce dernier occupe une place cruciale dans l’évolution controversée du rapport entre art et technique, entre invention et reproduction. La brutalité du "ready-made" et l’insistance des problèmes qu’il soulève sont au cœur de la réflexion de l’auteur, qui entend dépasser les habituelles et stériles querelles sur la fin de l’art.
Avec l’érudition parfois encombrante qui le caractérise, Georges Didi-Huberman poursuit une analyse dont La ressemblance informe, parue voici deux ans, fut à bien des égard le préambule. Mais "L’empreinte" est aussi une exposition et répond aux mêmes règles du jeu que "L’Informe", présentée l’an passé. La démonstration est beaucoup moins convaincante dans les espaces de la galerie Sud que sur le papier. Le choix et la qualité des œuvres, souvent remarquables, ne sont pas cause et mettent d’autant mieux en évidence l’extrême difficulté à éviter l’écueil de l’illustration. Entre les idées et les œuvres se développe un paradoxal conflit d’intérêt, à l’issue d’autant plus incertaine qu’il semble que tout puisse être vu sous l’angle de l’empreinte. Quantitativement réduite, l’exposition aurait certainement beaucoup gagné en rigueur et en force de conviction. Ce n’est pas si souvent, cependant, qu’est donnée l’occasion de vérifier que plus les idées sont fortes et précises, plus les œuvres sont têtues.
L’EMPREINTE, jusqu’au 19 mai, Centre Georges Pompidou, tlj sauf mardi 12h-22h, samedi-dimanche 10h-22h. Catalogue sous la direction de Georges Didi-Huberman, collection "Procédures," éditions du Centre Pompidou, 336 p., 250 F.
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Une empreinte peut en cacher une autre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Une empreinte peut en cacher une autre