Une autre paire de Manche

Toulouse revient sur l’art britannique au XXe siècle

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 901 mots

Du Vorticisme aux Young British Artists, “Blast to Freeze”? propose à Toulouse un panorama important de l’art anglais du XXe siècle à travers quelque 400 œuvres. Sagement chronologique mais ponctué de temps forts, à la manière de la scène anglaise de ces cent dernières années, l’accrochage montre un art qui a su traduire son époque, de la machine aux creatives industries.

TOULOUSE - De Blast à “Freeze”, de la première parution de la revue vorticiste, en 1914, à l’exposition de groupe organisée par Damien Hirst en 1988, l’art britannique au XXe siècle tel qu’il est présenté aux Abattoirs de Toulouse colle pratiquement à la chronologie du “short century” de l’historien Eric Hobsbawm : un siècle ouvert par la Première Guerre mondiale et s’achevant avec la chute du bloc communiste. Entre les deux se dégagent de l’histoire de l’art des scansions, dans lesquelles s’insèrent naturellement les 400 œuvres présentées ici. “Ce n’est pas tant l’histoire de l’art britannique que j’ai voulu considérer mais son engagement avec les différentes avant-gardes”, explique le commissaire de l’exposition Henry Meyric Hughes, actuel président de la fondation internationale Manifesta et ancien directeur des arts visuels au British Council. Pour ce dernier, la véritable internationalisation de la scène anglaise est un phénomène relativement récent. Mais les échanges et les tensions avec les différents centres artistiques, la France d’abord, puis les États-Unis, sont déterminants dans la construction de l’art britannique.
Dès lors, l’accrochage qui transforme les Abattoirs en un sage musée de l’art anglais au XXe siècle donne à voir une succession de générations dont les œuvres tiennent, au pire, de la traduction, souvent de l’équivalence, au mieux, de dynamiques propres face à un contexte international. Ainsi du Vorticisme, mouvement littéraire et pictural dont les fondateurs ont trouvé dans les postulats du futurisme une posture apte à liquider l’ordre victorien. The Crowd (Revolution) (1915), de Percy Windham Lewis, use d’une construction moderne fracturée pour décrire un nouvel ordre, se référant ouvertement à la Révolution française et à l’idéal socialiste. Prêchant la machine et l’industrie, le tourbillon vorticiste animé par Ezra Pound regroupe des personnalités telles qu’Edward Wadsworth ou Jacob Einstein. La statue du Rock Drill, conçue par Epstein en 1914, s’impose comme la vision troublante d’un futur cybernétique, popularisé depuis par la science-fiction. Après la guerre, il a lui-même mutilé son androïde, brisant ses rêves de progrès. Se rapprochant des réalismes qui se répandent alors, Lewis a, lui, décrit la Grande Guerre avec une désillusion semblable.
Premier mouvement moderne anglais à suivre en parallèle la marche du continent, le Vorticisme dépasse amplement le simple succédané du modèle italien. Malheureusement, les décennies et les salles suivantes ne font pas preuve du même succès. À l’exception de deux toiles de Graham Sutherland, d’une cruelle Machine à écrire onaniste de Conroy Maddox (1940), le surréalisme anglais, important dans un contexte national, ne soutient pas la comparaison avec l’effervescence parisienne du mouvement. À sa suite, l’accrochage fait justement place à des personnalités fortes, Henry Moore et ses dessins réalisés sous le blitz, ou les portraits torturés de Stanley Spencer. Plus loin, Bacon et Lucian Freud sont exposés côte à côte. Il faut attendre les années 1960 pour que la scène anglaise renoue avec des dynamiques de groupe, toujours accompagnées de trajectoires plus individuelles, comme celle de Bridget Riley. La chose s’annonce dans la renaissance du collage chez Paolozzi et Hamilton, elle se confirme dans le pop, qui donne ici matière à un très bel ensemble. La mouvance conceptuelle, est, elle, non dénuée d’humour. S’y illustrent Ian Hamilton Finlay et bien sûr le collectif Art & language. Quant à la Treatment Room (1984), de Richard Hamilton, un pied dans le pop, un pied dans le conceptuel et les deux dans le social, elle fait surgir l’image de Margaret Thatcher dans une installation en forme de bloc médical. L’œuvre confirme au passage l’importance de la figure tutélaire d’Hamilton sur les jeunes générations.
Anticipée dans la grande nef des Abattoirs par le classicisme minimal d’Anthony Caro et les exercices conceptuels de Michael Craig-Martin ou de Barry Flanagan, la nouvelle sculpture anglaise est illustrée par une reconstitution de l’exposition “Objects and Sculpture”, inaugurée en 1981 à l’Institut of Contemporary Arts (ICA) de Londres. Là étaient présents Tony Cragg, Anish Kapoor, Richard Deacon, Richard Wentwoorth ou Anthony Gormley, des artistes qui comptent désormais parmi les tenants de la scène internationale. La voie a été suivie par leurs cadets de quelques années, exposés à l’entrée du bâtiment à travers une sélection d’œuvres résolument morbides : un tapis de roses en décomposition pour Anya Gallacio (Red on Green, 1992), une porte inversée de Rachel Whiteread (Ghost, 1990), une porte d’hôpital peinte par Gary Hume (Four Doors I, 1989-1990). On y trouve évidemment Damien Hirst, avec une métaphore sur le cycle animal composée de deux caissons contenant des mouches, vivantes à droite, promises à l’électrocution à gauche (A Hundred Years, 1990). Le plan de carrière de ce dernier, propulsé par le publicitaire Charles Saatchi, est connu de tous. De l’âge de l’industrie lourde et du secteur primaire à celui du tertiaire et des creatives industries chères à Tony Blair, l’art britannique aura donc collé à l’air du temps.

BLAST TO FREEZE, L’ART BRITANNIQUE AU XXe SIÈCLE

Jusqu’au 11 mai, les Abattoirs, 76 allée Charles-de-Fitte, Toulouse, tlj sauf lundi, 11h-19h (à partir du 23 mars 12h-20h), tél. 05 34 51 10 60, www.lesabattoirs.org/blast-to-freeze. Catalogue éditions Hatje Cantz, 360 p, 393 ill., 58 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : Une autre paire de Manche

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