Un zeste de Japon

L’exposition que consacre le Musée d’ethnographie de Genève à l’extraordinaire fièvre nipponne qui gagna la fine fleur de l’Europe lève un pan sur un phénomène infiniment moins connu : la découverte du bouddhisme japonais par un cercle d’amateurs et de lettrés qui succombèrent en profondeur à la doctrine du Bienheureux. Car si les artistes d’avant-garde (tels Monet, Manet, Van Gogh, Lautrec, Gauguin, Vallotton…) puisèrent dans les « images du monde flottant » matière à revivifier leur répertoire et leur langage, les fils de bonne famille (qui n’étaient pas tous des nigauds !) poussèrent leur « grand tour » jusqu’au Japon pour y apprécier sur place les beautés de l’art bouddhique. Parmi eux se détache celui qui allait donner son nom à l’un des musées asiatiques les plus prestigieux au monde : Émile Guimet. Ce fils d’un industriel lyonnais (qui eut la bonne grâce de faire fortune en inventant le bleu outremer artificiel) ne passa en réalité que deux petits mois de l’année 1876 dans l’archipel nippon. Son choc fut pourtant considérable ! Accompagné du peintre Félix Régamey (dont sept toiles magnifiquement restaurées pour l’occasion constituent l’un des clous de l’exposition), Guimet va entreprendre une quête minutieuse de tous les aspects rituels et liturgiques de la foi nipponne, collectant auprès des autorités religieuses non seulement des statues et objets de culte, mais aussi des livres et des ouvrages savants destinés à rejoindre les collections de son futur musée. Pour évoquer cette foi mystique mâtinée d’accents mondains, l’exposition de Genève a reconstitué avec brio la rotonde de la bibliothèque du Musée Guimet qui accueillit devant le Tout-Paris (dont Clemenceau en personne !) une cérémonie bouddhique dans les règles de l’art, le 21 février 1891. On s’y croirait !