L’hommage du Musée du Luxembourg au maître de la Renaissance vénitienne se limite
à une juxtaposition de tableaux sur le thème du portrait.
PARIS - Réunir les œuvres majeures de Titien (1488/90-1576), dispersées dans de grands musées européens peu enclins à les prêter, relève aujourd’hui de la gageure. L’idée de présenter l’œuvre du maître de la peinture vénitienne de la Renaissance par le biais du portrait, un genre dans lequel il excella, pouvait donc sembler plutôt judicieuse. Pour autant, fallait-il limiter le propos de cette exposition – reprise du Musée de Capodimonte (Naples) où sont conservés quelques tableaux majeurs qui n’ont, pour la plupart, pas fait le déplacement – à une juxtaposition d’images de puissants et de personnalités, sans chercher à proposer un semblant de réflexion sur ce qui fait de Titien un immense portraitiste ? En quoi le Vénitien est-il l’héritier de la grande tradition naturaliste flamande ? Comment son modelé par la couleur a-t-il donné une dimension supérieure à l’art du portrait ? Quel héritage Titien légua-t-il aux portraitistes du XVIIe siècle, tels Rubens ou Van Dyck ? Autant de questions qui demeurent sans réponse à l’issue d’une visite qui procure un sentiment mitigé. Certes, personne ne boudera son plaisir de pouvoir se délecter de ces tableaux rarement visibles à Paris, mais, pour toute explication, il faudra se contenter de panneaux et de cartels dressant un simple who’s who de la clientèle de l’artiste.
Traitement individualisé
Dans une scénographie contrastée alternant salles obscures aux murs tendus de velours et espaces aux cimaises claires, la soixantaine de tableaux se déroule pourtant avec aisance dans les espaces étroits du Musée du Luxembourg. Les puissants commanditaires sont convoqués dès la première salle : Charles Quint, qui fit rapidement de Titien son peintre d’élection mais dont les magnifiques portraits du Prado sont hélas absents ; François Ier, peint vraisemblablement d’après une médaille de Benvenuto Cellini, également exposée, mais aussi les familles patriciennes italiennes Farnese, Della Rovere ou Este – représentée par le magnifique portrait d’Isabelle, peinte à près de 60 ans dans une éternelle jeunesse (1534-1536, Vienne, Kunsthistorisches Museum). Vient ensuite la cohorte des dignitaires vénitiens. En 1517, Titien devient en effet le peintre officiel de la Sérénissime grâce, notamment, à son talent pour la caractérisation du statut social de son modèle, qui bénéficie toujours d’un traitement individualisé malgré l’aridité de la commande. Quelques œuvres émergent de cet ensemble de portraits officiels convenus, tel ce Portrait du doge Nicolò Marcello (vers 1542, musées du Vatican), aux traits empâtés mais peints d’après un strict profil de médaille, sur un fond sombre et sans relief.
La section consacrée aux figures féminines permet ensuite de prendre la mesure du goût de l’artiste pour un érotisme sensuel, célébré dans les Vénus, évoquées ici par une modeste œuvre d’atelier. L’exposition s’achève sur quelques tableaux lumineux, comme ce Portrait de gentilhomme (vers 1540, Ickworth) d’une extraordinaire acuité psychologique, ou encore ce qui pourrait être une première version de L’Homme au gant (1517-1520, Musée Fesch, Ajaccio), célèbre tableau conservé au Louvre (non prêté). Quant au portrait sans concession de L’Arétin (1545, Florence, palais Pitti), sa présence peut justifier à elle seule les dix euros de droit d’entrée. Celui qui tenta d’introduire la peinture du Vénitien à la cour des Médicis y est représenté de trois quarts, en humaniste tourmenté vêtu d’un ample manteau brossé à traits rapides. Un traitement proche de l’esquisse qui fit écrire à l’écrivain qu’il aurait été mieux habillé s’il avait davantage payé l’artiste.
Jusqu’au 21 janvier 2007, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 45 4412 90, www.museeduluxembourg.fr, lundi-vendredi-samedi 11h-22h, du mardi au jeudi 11h-19h, dimanche 9h-19h ; vacances scolaires et jf, ouverture à 9h ; fermeture à 19h les jf. Catalogue, éd. Skira, 264 p., 32 euros, ISBN 88-7624-262-7.
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Un Titien sans saveur
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Nicola Spinosa, surintendant des musées de Naples, Tullia Carratù et Morena Costantini, responsables scientifiques des expositions, surintendance de Rome - Nombre de salles : 5 - Scénographie : Frédéric Lebard
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Un Titien sans saveur