XXe

Un surréalisme égyptien

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2017 - 452 mots

Le Centre Pompidou raconte le mouvement Art et Liberté qui donna sa version du surréalisme en Égypte.

PARIS - Dans un courrier manuscrit daté du 10 décembre 1953 adressé au peintre Ramsès Younane, le poète cairote Georges Henein écrit : « J’ai eu tout récemment des démêlés avec les peintres qui prétendent représenter la suite d’“Art et Liberté” » : Kamal Youssef, Hassan, Gazzar, Massouda, etc. Ils entendaient former un nouveau groupe “Art et Culture”.  Mais lorsqu’il s’est agi de préciser les objectifs qu’ils se proposent, j’ai constaté avec surprise que ces messieurs parlaient de “la personnalité nationale de l’artiste” et écartaient des artistes comme Éric de Nemès sous prétexte qu’il n’exprime pas la quintessence de la vie égyptienne. »

Si le coauteur du pamphlet Le Rappel à l’ordure (1935) – dont le titre n’est pas sans faire référence au Rappel à l’ordre (1926) de Cocteau – se lamente ainsi, c’est qu’il constate au début de ces années 1950 l’étiolement des idéaux qui ont conduit de jeunes artistes égyptiens à se regrouper sous le vocable « Art et Liberté » à l’occasion de la publication, en décembre 1938, du manifeste Vive l’art dégénéré.  Un texte qui protestait notamment contre la présence dans le pays du futuriste Filippo Tommaso Marinetti, aux accointances fascistes.

Un mouvement politisé
C’est une histoire aussi méconnue que passionnante que conte le Centre Pompidou, à Paris, avec cette exposition qui illustre comment une génération d’artistes, dont certains furent en partie éduqués en Europe, a inventé en Égypte une autre voie pour le mouvement surréaliste, auquel elle a conféré son propre vocabulaire. Fortement politisée pour répondre à la montée croissante des totalitarismes, l’expression picturale de Mayo, Amy Nimr, Inji Efflatoun, Ramsès Younane ou Rateb Seddik s’exprime dans des visions violentes, des champs de bataille, des cauchemars incarnés, des corps fragmentés… En même temps qu’un dynamique courant photographique, porté par Ida Kar, Étienne Sved ou Abduh Khalil, déconstruit la forme humaine, manie finement l’absurde et se moque ouvertement des références nationalistes toujours présentes dans la création.

Des références vers lesquelles des artistes comme Abdel Hadi el-Gazzar, Hamed Nada ou Samir Rafi vont finalement revenir dès la fin des années 1940, sacrifiant les ouvertures prônées par Art et Liberté pour défendre un retour à des formes vernaculaires et populaires et un symbolisme fortement teinté de nationalisme ; ce que déplorait Henein dans sa missive, qui voyait en outre l’important apport d’artistes étrangers résidant en Égypte, comme Lee Miller ou Roland Penrose.

Car au-delà de l’aventure surréaliste, ce que montre cette exposition riche également en documents d’archives, c’est la complexité, dans des territoires alors qualifiés de périphériques, de la problématique de l’identité face à l’intégration et/ou au rejet des influences issues des puissances colonisatrices.

ART ET LIBERTÉ. RUPTURE, GUERRE ET SURRÉALISME EN ÉGYPTE (1938-1948)

Jusqu’au 16 janvier, Centre Pompidou, Galerie du musée et galerie d’art graphique, niveau 4, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 14 €. Catalogue, coéd. Skira/Centre Pompidou, 256 p., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Un surréalisme égyptien

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