Avec près de quatre cents pièces, mêlant plans, tableaux, sculptures et arts décoratifs, l’exposition du Grand Palais promettait une lecture inédite de l’époque 1900. Elle se place en définitive, sans originalité, « entre tradition et modernité » , mais ne parvient pas, noyée dans une scénographie maniérée, à faire émerger les problématiques du XXe siècle naissant.
PARIS - “Ni une évocation des splendeurs et des misères de la Belle Époque, ni une commémoration de l’exposition par laquelle, il y a un siècle, Paris voulut éblouir, pas plus qu’un hommage à l’Art nouveau et à ses maîtres.” Une série de négations sert à Philippe Thiébaut, son commissaire, pour définir l’exposition du Grand Palais, désireuse d’éviter les clichés dont sont avides les célébrations de l’an 2000. Au contraire, elle entend se placer au passage entre les deux siècles et extraire les “principales caractéristiques” de l’art des années 1895-1905. Ce sont plutôt des fragrances qui parviennent au visiteur, accueilli par un premier chapitre sobrement intitulé “La recherche d’un art total”. Dans une application domestique de la Gesamtkunstwerk, se côtoient en fait les maîtres de l’Art nouveau que sont Guimard, représenté par l’enseigne du Castel Henriette, et Van de Velde avec son imposant écritoire de 1898.
Peep-show fin de siècle
L’architecte belge, comme son homologue français, entendait garder le contrôle sur l’ensemble de ses réalisations : “Il faut retrouver le retour à l’unité de l’art. Il y a décadence parce qu’il y a rupture de l’unité”. La célèbre réflexion de Van de Velde ne semble malheureusement pas avoir été retenue par Christian Germanaz, responsable d’une scénographie qui multiplie les tons et les formes dans une “dématérialisation progressive” de la muséographie, pour sombrer aux trois-quarts du parcours dans l’“inflation des images féminines” et la “régression vers le végétal et l’aquatique”. Là, dans une ambiance précieuse de peep-show fin de siècle, sur fond de rideaux verts puis rouges, se noient objets décoratifs, tel un élément de la vitrine du stand de Lalique de l’Exposition universelle de 1900 et sculptures, comme la Vague de Camille Claudel. À l’inverse, le premier étage offre un cadre rigoureux à l’utopie du phalanstère d’artistes de Paul Hankar et aux groupes d’artistes de Vienne, Darmstadt et Glasgow. À ces associations répondent les photographies de la confrérie du Linked Ring de Londres, du groupe de Hambourg, ou du Photo-Secession créé en 1902 par Alfred Stieglitz à New York. Imposant au médium photographique un traitement proche de la peinture, avec ses effets de flous et de matière, les photographes pictorialistes réfutent la facilité réaliste de la photographie pour lui conférer une valeur d’unicité. Écho au préraphaélisme anglais, l’Héritage de la maternité, de l’Américaine Gertrude Käsebier, apparaît comme exemplaire de ce jeu entre “modernisme et traditions”, titre de la seconde partie de l’exposition. Très présente, la photographie, de Steichen à Demachy, n’apparaît d’ailleurs que sous cet angle.
Curiosités et manques
Marqués par le développement de l’industrialisation et la simplification des formes, l’architecture et les arts décoratifs obéissent au même dualisme. À la suite de Viollet-le-Duc, le rationalisme puise son inspiration dans les sources nationales. Cabinet néo-viking norvégien de Lars Kinsarvick ou néogothique anglais de Charles Robert Ashbee Isleworth, les “néo” et nations s’enchaînent aimablement, mais sans cohésion. À l’exception des deux premières salles, consacrées aux panneaux décoratifs de Redon pour le château de Domecy-sur-le-Vault ou d’Édouard Vuillard pour l’appartement parisien du docteur Vaquez, la peinture est à la même enseigne. D’autant que la présence de quelques curiosités, comme les Jeunes hommes au bord de la mer de Max Beckmann, encore sous l’influence académique de von Marées, ou l’Étrange jardin de Josef Mehoffer et sa libellule en surimposition, ne pallie pas l’absence de Monet ou de Gauguin, pourtant indispensables pour traiter de l’“âge d’or”, dernière partie que clôt Matisse. Les deux peintres sont-ils trop connus pour figurer dans une sélection aussi ambitieuse ? Ils semblent en fait trop modernes dans une exposition définitivement tournée vers le XIXe et engluée dans son imagerie fin de siècle.
- 1900, jusqu’au 26 juin, Galeries nationales du Grand Palais, entrée square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h. Catalogue éditions RMN, 400 p., 230 F.
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Un siècle qui n’en finit pas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Un siècle qui n’en finit pas