Avec « Le monde devient pop », la Tate Modern propose à Londres une vision du pop art élargie à tous les continents. Un pari risqué.
LONDRES - Un sexe masculin en vinyle, de couleur rouge criarde, qui sort d’une boîte (Antonio Dias, Accident at the Game, 1964). Une robe avec le zip ouvert et un casque de l’astronaute russe Valentina Tereshkova (Evelyne Axell, Valentine, 1966). Des icônes de la scène artistique et politique du groupe Equipo Crónica (El realismo socialista y el Pop Art en el campo de batalla, 1969). Un visage blanc, une bouche d’un rouge écarlate d’où émerge une langue énorme clouée au sol par un pic métallique (Jerzy Ryszard Zieli ski, Bez Buntu, 1970). Une maquette d’avion de chasse (Shinkichi Tajiri, Machine No 7, 1967)…
Prenez toutes ces œuvres, secouez fort et vous n’obtiendrez que l’aperçu de la première salle d’une exposition qui en comporte douze. Non pas qu’il s’agisse d’une manifestation monstre, car l’ensemble reste de taille humaine, mais le visiteur sort un peu sonné par ce super marché pop qui étale des œuvres colorées et clinquantes. Rien d’étonnant toutefois : on le sait, ce sont les médias et la publicité, faits pour happer le passant, qui inspirent les travaux réunis à la Tate.
On est loin des « Années Pop » ; l’exposition organisée en 2001 au Centre Pompidou était nettement plus sage. Et pour cause. Si les commissaires parisiens ont adopté une approche plutôt fidèle du récit que nous propose l’histoire de l’art, à Londres le but est de montrer des créateurs moins connus, voire méconnus, pour revisiter la version canonique du mouvement. On le sait, le capitalisme américain a engendré l’un des moments les plus prospères de l’Histoire. Il a produit des séries sans fin de voitures, de conserves et d’aspirateurs. On le sait encore, le pop art a toujours été associé à l’axe « États-Unis - Angleterre » (ce dernier pays étant celui de la première exposition reconnue de ce mouvement inspiré par Richard Hamilton) avec comme vedettes Andy Warhol ou Roy Lichtenstein, dont les œuvres glorifient (ou subvertissent) l’imagerie commerciale de la publicité et de la consommation.
Face à cette version « autorisée », à Londres l’histoire du pop s’étend sur tous les continents, ainsi que le résume le titre, « Le monde devient pop ». Appellation un peu excessive, mais il est vrai que l’on y trouve de nombreux représentants de l’ancienne Europe de l’Est (difficilement associables à une consommation effrénée), des artistes en provenance de l’Amérique de Sud (surtout du Brésil) ou d’Asie. Certains pays sont plus présents que d’autres : l’Espagne est représentée par une quantité d’œuvres qui semble disproportionnée, mais la France est également très bien servie, essentiellement par la Figuration narrative.
Qualité inégale
Pour laisser au spectateur le soin de découvrir tous ces « nouveaux venus », les organisateurs ont exclu les célébrités du pop art (mais si le cœur vous en dit, en sortant, vous descendez un étage plus bas pour admirer en quelque sorte un « salon des refusés » qui réunit les acteurs principaux de cette mouvance). Un pari risqué, car si cette décision peut donner lieu à des surprises, les œuvres ne partagent pas toutes la même qualité. Ainsi, Martha Rosler, une des artistes féministes les plus subtiles, présente avec Woman with Vacuum ou Vacuuming Pop Art (1966-1972) une version ironique et hilarante d’une affiche célèbre de Hamilton. Ailleurs, l’installation imposante d’Henri Cueco, Large protest (1969), est un bon exemple d’une critique politique de la société, souvent absente dans le pop art. En revanche, les œuvres d’Angela Garcia, des nus aux couleurs stridentes posées en aplat, semblent n’être que de faibles copies de Tom Wesselmann, et les Vaches qui rient de Thomas Bayrle (1967) ne tiennent pas la comparaison avec les fameuses vaches de Warhol.
Le point faible de la démonstration est qu’un nombre important de travaux choisis sont postérieurs à l’éclosion du pop art. En reprenant le même langage plastique, elles laissent le sentiment d’un réchauffé en manque de vitalité. Sans doute, la contestation sociopolitique introduite par ces œuvres est plus explicite que chez leurs glorieux « ancêtres » – l’autre thème quasi permanent est l’érotisme –, mais le résultat est souvent réducteur.
On regrette que cette réflexion ne cherche pas plutôt à montrer l’évolution du pop art dans le temps et la manière dont les artistes plus contemporains – russes, chinois ou africains – réussissent à le détourner tout en utilisant ses codes. En d’autres termes, l’arroseur arrosé.
Commissaire : Jessica Morgan
Nombre d’artistes : 64
Nombre d’œuvres : 160
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Un pop art mondialisé
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 24 janvier 2016, Tate Modern, Bankside, Londres, tél. 44 20 7887 8888, www.tate.org.uk, dimanche-jeudi 10h-18h, vendredi et samedi 10h-22h, entrée 16 £ (env. 22 €). Catalogue, 272 p., 30 £ (env. 40,50 €)
Légende photo
Equipo Crónica, El realism socialista y el Pop Art en el campo de batalla, 1969, acrylique sur toile, 200 x 200 cm, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid. © Archives photographiques Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia. Equipo Cronica (Manolo Valdés and Rafael Solbes), courtesy Marlborough Gallery, New York.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Un pop art mondialisé