L’exposition présentée par la Fondation Mucha se concentre sur ses célèbres œuvres Art nouveau et les dernières toiles symbolistes.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Comment ne pas apprécier les affiches de Sarah Bernhardt, les lithographies décoratives – Les Fleurs (1898), Les Moments de la journée (1899) – et les publicités glamours pour du champagne ou des biscuits ? Mais, par la voix de son directeur général, Marcus Mucha, arrière-petit-fils de l’artiste, et de la conservatrice des collections et commissaire de l’exposition, Tomoko Sato, la Fondation Mucha affirme tenir surtout à ce que le public rencontre un inconnu, l’Alphonse Mucha (1860-1939) engagé dans le mouvement de « l’art pour tous » et qui tenait à « mettre son art au service de son pays et de ses compatriotes slaves » dans des toiles symbolistes. En réalité, les expositions de Montpellier en 2009, de Paris en 2018 et Quimper en 2021 (ces deux dernières produites par la fondation) ont déjà abordé tous les sujets présentés ici comme « nouveaux » et, pour Montpellier et Paris, en bénéficiant d’un nombre largement plus important d’œuvres que les 120 prêtées à Aix-en-Provence. Les seules toiles qui n’ont jamais été vues en France sont Chant de Bohême (1918) et le Portrait de Jaroslava (1927-1930), sa fille.
La famille raconte à l’envi la légende de l’artiste resté à Paris pendant les fêtes de fin d’année en 1894 et miraculeusement présent chez l’imprimeur Lemercier quand celui-ci dut trouver pour Sarah Bernhardt quelqu’un capable de réaliser au plus vite l’affiche de la pièce Gismonda, 1895. Or, et un panneau de salle le mentionne, l’illustrateur dessinait l’actrice depuis plusieurs années pour cet imprimeur. Pour imaginer l’affiche, Mucha a stylisé un type de représentation que l’on trouve dans son œuvre dès 1891 avec une lithographie où elle apparaissait dans le rôle de Cléopâtre. Le « style Mucha » est le résultat d’un travail de dessinateur, de décorateur et parfois de metteur en scène que le peintre exécutait pour le théâtre depuis ses années viennoises. Il est dommage que cette évolution n’apparaisse pas dans l’exposition.
Quant au spectaculaire cycle de peintures de « L’Épopée slave » donné à la ville de Prague en 1928, présenté dans une salle immersive, il était en germe depuis la rencontre de Mucha avec le peintre autrichien Hans Makart à Vienne dans les années 1880-1881 et la formation reçue de Jean-Paul Laurens à l’académie Julian, à Paris en 1887. Le Tchèque se voulait, comme eux, peintre d’histoire, ambition évidente dans son important travail d’illustrateur (invisible dans l’exposition) et qui revient au premier plan lorsqu’il abandonne son rôle de directeur artistique de Sarah Bernhardt pour se consacrer à sa patrie.
La Fondation Mucha a le projet d’établir un musée à Paris. Il faut espérer que, s’appuyant sur le travail de recherche que mène Tomoko Sato, elle pourra y construire un parcours biographique et artistique montrant enfin l’homme et l’artiste dans toute leur complexité : « créatif » dans la publicité, enseignant en arts graphiques, catholique à tendance mystique, humaniste, théosophe, adepte des sciences occultes, franc-maçon, socialiste, symboliste et illustrateur de livres d’histoire et de contes pour enfants.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Un Mucha séduisant mais un peu court