En 1898, Alphonse Mucha réalise l’affiche de Médée, incarnée au théâtre par Sarah Bernhardt. L’œuvre sera présente, ce mois-ci, dans la rétrospective que le Musée du Luxembourg consacre à cette figure incontournable de l’Art nouveau.
Reconnaissables au premier coup d’œil, les affiches d’Alphonse Mucha (1860-1939) incarnent la quintessence de l’Art nouveau. Aux côtés de Grasset et de Toulouse-Lautrec, l’artiste tchèque a en effet totalement renouvelé ce médium populaire qui gagne alors ses lettres de noblesse. Plus qu’aucune autre auparavant, la Belle Époque possède en effet un sens publicitaire acéré, stimulé notamment par la concurrence acharnée entre les grands magasins, mais aussi les innombrables lieux de spectacle de la Ville lumière. L’art de la réclame connaît ainsi un véritable âge d’or : les affiches envahissent l’espace public, mais également les galeries et même les revues spécialisées.
Rapidement Mucha s’impose comme l’un des maîtres du genre avec son style inimitable, basé sur la profusion ornementale, le traitement sublimé de la femme et les arabesques. Pourtant, l’affiche n’était pas son premier amour, et sa rencontre avec ce médium est même le fruit du hasard. Lorsqu’il arrive à Paris en 1887, après des études à Vienne et à Munich, Mucha a déjà fait ses armes dans les décors de spectacle et l’illustration. Le Morave vivote jusqu’à l’hiver 1894 où la chance lui sourit. Pendant les fêtes, il fait un remplacement chez l’éditeur Lemercier. Le lendemain de Noël, l’atelier reçoit une requête urgente : Sarah Bernhardt commande une affiche pour sa nouvelle pièce, Gismonda. Au pied levé et alors qu’il n’a pratiquement pas d’expérience dans ce médium, Mucha saisit l’occasion et propose une affiche à la grande tragédienne qui adore le style original de cet artiste méconnu. Et elle n’est pas la seule, car les affiches placardées dans Paris rencontrent un succès instantané. À tel point que nombre d’entre elles sont d’ailleurs dérobées à la nuit tombée.
Consciente de l’impact de ces affiches novatrices, qui lui apportent une aura supplémentaire en consolidant son image de diva glamour, l’actrice s’attache les services de Mucha. L’artiste décroche ainsi un contrat inespéré incluant non seulement les affiches des prochains spectacles de la « Divine », mais aussi la conception de décors et de costumes. Cette collaboration lance irrésistiblement la carrière de Mucha. Devenu la coqueluche de la scène parisienne, il est ensuite sollicité par de nombreuses marques pour lesquelles il réinvente constamment son modèle de femme-fleur sensuelle et stylisée. Un motif qui deviendra indissociable dans l’imaginaire collectif de Paris 1900.
La Divine - Actrice la plus célèbre de son temps, voire de l’histoire du théâtre français, Sarah Bernhardt a rencontré un succès planétaire. Première star internationale, elle s’est produite sur les cinq continents et a fasciné les foules, comme les artistes. Clairin, Gérôme, Nadar, Lalique et, bien sûr, Mucha l’immortalisèrent ainsi dans de célèbres compositions qui ont largement participé à créer son mythe. L’actrice, que l’on surnommait notamment « Voix d’or », séduisait par son timbre particulier, mais surtout par ses poses lascives et sa façon à nulle autre pareille de jouer l’agonie. Celle pour qui Cocteau inventa l’expression « monstre sacré » fascinait surtout le public par ses talents d’incarnation. La tragédienne s’investissait ainsi corps et âme pour jouer des rôles aussi intenses que variés, de Phèdreà L’Aiglon en passant par La Dame aux camélias. Elle avait en effet une prédilection pour les drames et prit apparemment un grand plaisir à se glisser dans la peau d’une amante rejetée et désespérée et d’une mère infanticide. Le regard totalement halluciné dont l’a dotée Mucha témoigne encore aujourd’hui de son incroyable présence scénique.
Symbolisme - Parmi les nombreuses affiches d’Alphonse Mucha, Médée occupe une place singulière. Contrairement à la majorité des autres pièces, celle-ci tranche en effet par sa tonalité résolument symboliste. L’aspect le plus frappant est la gamme chromatique utilisée par l’artiste qui troque ses habituelles couleurs douces et pastel contre des teintes sombres et sourdes. La longue robe foncée de la protagoniste, aux airs de linceul, occupe ainsi une place considérable dans la composition. Par ailleurs, l’autre trait caractéristique de Mucha, l’omniprésence de fleurs traitées en aériennes volutes, cède ici le pas à un paysage aride et désolé. Tandis que la femme, d’ordinaire magnifiée chez Mucha, est traitée comme l’archétype de la femme fatale selon une esthétique décadente typiquement fin de siècle. Une tonalité morbide encore accentuée par la représentation au premier plan des cadavres des enfants assassinés par leur mère. L’artiste démontre que loin d’être enfermé dans un seul registre, il sait s’adapter à l’univers d’autres créateurs. En l’occurrence à l’atmosphère dramatique du livret de Catulle Mendès.
Une composition révolutionnaire - Bien que Médée offre une tonalité inédite parmi les affiches dessinées par Mucha pour le théâtre, l’œuvre reprend tous les codes du modèle inventé par l’artiste en 1894. L’illustrateur imagine alors une composition révolutionnaire qui fera florès. Mucha rompt radicalement avec les affiches proposées jusqu’alors en concentrant l’attention sur un personnage central représenté en pied et grandeur nature. L’actrice est lovée dans une niche, surmontée d’un arc en fer à cheval arrondi, ce qui lui confère un caractère solennel, quasi mystique. Et qui contraste fortement avec les affiches alors en vigueur présentant des aplats de couleurs très vives et des compositions animées. La présence de mosaïques, de tissus élégants et de matériaux précieux renforce encore la dignité du personnage. Tandis que son canon allongé et son traitement stylisé et hiératique subliment la tragédienne et accentuent son aura mystérieuse. Enfin, le traitement très original des éléments informatifs, inclus de manière harmonieuse, participe également au profond renouvellement de ce médium artistique et publicitaire.
Le bracelet serpent - Les iconiques affiches conçues par Alphonse Mucha pour les pièces de théâtre dans lesquelles jouait Sarah Bernhardt ont quelque peu éclipsé le reste de la fructueuse collaboration entre l’artiste et l’actrice. En effet, le contrat conclu en 1895 incluait ainsi non seulement la réalisation des affiches des spectacles, mais aussi la création de décors et de costumes de la tragédienne. Le bracelet serpent, bijou emblématique de la production de Mucha, est assurément l’accessoire le plus célèbre que l’artiste a dessiné pour son égérie. L’exemplaire représenté sur l’affiche est le prototype du modèle commandé au bijoutier Georges Fouquet à partir des dessins de Mucha. Cette pièce, qui rencontrera un franc succès, sera ensuite réalisée en de nombreux exemplaires. La collaboration entre Mucha et Fouquet connaîtra son apogée en 1901 quand le bijoutier demanda à l’artiste de concevoir la devanture et le décor intérieur de sa boutique parisienne. Ce faisant, Mucha mettait en application un des principes fondamentaux de l’Art nouveau : mettre du beau dans toute chose et réaliser l’unité de l’art et de la vie.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’affiche pour Médée d’Alphonse Mucha
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : L’affiche pour Médée d’Alphonse Mucha