L’exposition « Matisse et Picasso : une aimable rivalité » révèle la dimensions étonnamment émouvantes des relations entre les deux artistes, en s’appuyant sur les recherches inédites d’Yves-Alain Bois, professeur d’histoire de l’art à l’université de Harvard. Plus de cent peintures, sculptures et œuvres sur papier sont présentées chronologiquement, pour permettre au visiteur de comprendre la brillante partie d’échecs visuels qui a opposé les deux peintres.
FORT WORTH - L’exposition met en lumière, dans le temps et dans l’espace, les échanges entre les deux artistes, actions rapides ou, au contraire, plus réfléchies, révélatrices d’un dialogue toujours cohérent. Plutôt que d’étudier l’ensemble de la carrière des deux peintres, la présentation du Kimbell Art Museum – uniquement proposée à Fort Worth – débute à la fin des années 1920 et se poursuit jusqu’à la mort de Matisse, en 1954. “Une aimable rivalité” montre également des œuvres de Picasso réalisées entre 1954 et 1956, odes élégiaques à son ami disparu dans lesquelles il revisite les thématiques et la forme des œuvres de Matisse. Elle a été conçue par Joachim Pissarro, en collaboration avec Ted Pillsbury, respectivement ancien conservateur en chef et ancien directeur du Kimbell Art Museum. Cherchant un commissaire d’exposition extérieur au musée, les deux hommes se sont rapidement décidés à contacter Yves-Alain Bois. Ce dernier a proposé comme point de départ la fin de la période niçoise de Matisse, durant laquelle Picasso usait de mille ruses pour ramener son ami dans le combat. “C’était un peu comme si Picasso n’avait personne à qui parler, estime Yves-Alain Bois. Il avait besoin de dialoguer avec quelqu’un qu’il respectait. Il lui fallait que Matisse revienne. Et qu’il revienne au meilleur de sa forme. Alors, il l’a rendu jaloux. D’une certaine manière, ce peintre fougueux a choisi Matisse pour rival”.
Jeu parallèle
Ainsi, l’exposition s’ouvre sur Picasso parodiant le vocabulaire héroïque de son aîné. Le Catalan était dans une période de production artistique intense, mais Matisse, une fois encore, traversait une crise et ne peignait pratiquement plus. Tandis qu’il recouvrait ses forces, Picasso a découvert certaines des sculptures et des peintures que son rival avait exécutées au début de sa carrière. Il a alors produit ses premières sculptures de têtes, ainsi qu’une série de “beautés endormies” sur toile. Matisse s’est décidé à répondre aux provocations de Picasso, et chaque artiste a fait progressivement le tour de l’œuvre de l’autre. Pendant les années de guerre, les deux hommes n’ont cessé de penser l’un à l’autre et se sont engagés dans ce qu’Yves-Alain Bois appelle un “jeu parallèle”. Après la guerre, les deux artistes vieillissants ont été élevés au rang de héros nationaux pour être restés en Europe au lieu de fuir aux États-Unis. Selon Joachim Pissarro, “ce que révèle l’exposition du Kimbell, c’est le degré d’intensité de leur échange” au cours de l’après-guerre. “Leur relation est devenue complètement inextricable, névrotique et contradictoire”. Parmi les œuvres présentées figurent plusieurs toiles et bronzes emblématiques, dont Serpentine (1909), la Tiare (1930), Grand nu allongé (1935) de Matisse, et la Femme aux cheveux jaunes (1931) de Picasso. Cependant, plus d’un tiers des œuvres sont sur papier, car elles témoignent de leurs échanges les plus intenses. Matisse a fait plusieurs études au crayon d’après des œuvres de Picasso, et même copié deux de ses toiles sur ce support.
Envers et contre tout
Pourtant, “Matisse et Picasso” a bien failli ne jamais voir le jour. Les commissaires ont en effet pris connaissance entre-temps du projet de la Tate Gallery et du MoMA de préparer, pour le début du troisième millénaire, une exposition “Matisse et Picasso”. “Il a fallu décider si notre exposition était possible et justifiée”, indique Ted Pillsbury. Rassurée notamment par John Golding, l’équipe du Kimbell s’est finalement lancée dans le projet, et Yves-Alain Bois a fait le nécessaire pour dresser une liste de prêts excluant les pièces du MoMA. En comparant cette liste avec celle de la Tate, Joachim Pissarro a constaté que “seuls quatre ou cinq tableaux étaient pressentis en même temps par les deux musées”. Le projet a ensuite été menacé en 1997, lorsque Joachim Pissarro a quitté le Kimbell pour Yale, puis en 1998, lorsque Ted Pillsbury a pris sa retraite. Malgré tout, le conseil d’administration a décidé de la maintenir au programme. Yves-Alain Bois a continué l’écriture de sa monographie ainsi que ses démarches pour obtenir le prêt des œuvres. Lorsque Timothy Potts est a été nommé directeur, en novembre, il a pris en main l’exposition au sein du musée.
Jusqu’au 2 mai, Kimbell Art Museum, 3333 Camp Bowie Boulevard, Fort Worth, tél. 1 817 332 84 51, tlj sauf lundi 10h-17h, vendredi 12h-20h et dimanche 12h-17h. Monographie d’Yves-Alain Bois publiée chez Flammarion.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un jeu parallèle
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : Un jeu parallèle