Le Musée Paul-Valéry, à Sète, s’interroge sur le rôle de précurseur qu’aurait pu tenir le peintre Louis Valtat.
SÈTE - Comment un artiste tombe-t-il dans l’oubli ? Cette question pourrait être le sous-titre de l’exposition « Valtat », organisée par le Musée Paul-Valéry à Sète (Hérault) et sous-tendue par un fort postulat historiographique ainsi formulé par sa commissaire Maïthé Vallès-Bled : si l’histoire de l’art n’a pas vu en Valtat (1869-1952) le précurseur du fauvisme, c’est qu’il avait dix ans d’avance. Resté à l’écart des mouvements (ce qui lui vaut ici le qualificatif héroïque d’indépendant) tout en les fréquentant de près et appliquant leurs recherches dans sa peinture, tantôt néo-impressionniste, purement nabi, parfois expressionniste, Louis Valtat a également souffert postérieurement de cette inconstance du style, comprise comme une faiblesse des partis pris. Il convenait donc pour Maïthé Vallès-Bled de rendre hommage, ou plutôt justice, à celui qui, dès l’été 1895, a posé sur la toile la peinture pure qui allait embraser le Salon d’automne de 1905. Le parcours, constitué grâce aux prêts de deux grandes collections privées internationales, met l’accent sur ces années décisives avec des œuvres parfois jamais montrées au public. Contredisant la logique collective des avant-gardes, c’est en solitaire que Valtat découvre le pouvoir de la couleur libérée du dessin. Atteint d’une tuberculose, il est contraint de s’éloigner de la scène parisienne pour gagner le Sud, où, à Arcachon, Banyuls et Agay, il est frappé, comme Matisse et Derain le seront à Collioure en 1905, par la lumière du Midi et la vivacité de ses couleurs.
Le sable d’Arcachon en orange surnaturel
Le fauvisme était-il déjà présent dans ce paysage ? Dans Les Écaillères d’huîtres (1896), la composition ne tient déjà plus qu’à l’agencement de plages colorées et pour la première fois arbitraires, note Maïthé Vallès-Bled en remarquant cet orange surnaturel employé pour le sable d’Arcachon, prétexte au contraste avec les barques sombres, et ces pointes de rouge vif et vert d’eau qui rythment la toile. Avec Les Porteuses d’eau, peintes l’année suivante, Valtat rehausse significativement sa palette et adopte une touche plus énergique selon la leçon de Van Gogh. L’espace baigné de lumière, dans lequel ondulent (flottent) ces silhouettes catalanes, est une surface sans perspective, un plan de peinture jaune. Un peu plus tard, Le Rastel d’Agay (1898), tout aussi remarquable de modernité, fait sans conteste de Valtat un fauve avant l’heure et justifie le pressentiment du marchand Ambroise Vollard, qui lui acheta la quasi-totalité de ses toiles dès 1900. Revenant à un coup de pinceau plus minutieux, proche des néo-impressionnistes, le peintre se laisse aller à l’exaltation des couleurs les plus violentes dans une composition bientôt abstraite où les rouges et oranges s’opposent à leurs complémentaires verts et violets.
Mais, tout en s’aventurant en éclaireur sur les chemins de l’avant-garde, Valtat continue de peindre des scènes d’intérieur à la manière des nabis, ici mises en regard avec les toiles fauves. Il conviendra de méditer à ce surprenant face-à-face en se laissant happer quelques instants par le bleu de l’azur, celui qui pointe par jour de beau temps par les fenêtres du Musée Paul-Valéry. Car rares sont les artistes qui sont restés tout au long de leur carrière aux premiers rangs de l’avant-garde. Cela ne semble avoir eu que peu d’importance pour Valtat qui, dans les salles suivantes, témoigne d’un plaisir égal à peindre des natures mortes cézanniennes, des baigneuses à la manière de Renoir, ou son jardin dans un style impressionniste… La fin du parcours retiendra davantage l’attention de l’amateur que de l’historien d’art, car il réunit toujours de belles peintures.
Commissariat : Maïthé Vallès-Bled, conservatrice en chef du Musée Paul-Valéry
Nombre d’œuvres : 70
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Un fauve avant l’heure
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 7 mai, Musée Paul-Valéry, 148, rue François-Desnoyer, 34200 Sète, tél. 04 99 04 76 16, www.museepaulvalery-sete.fr tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Au fil du temps, 38 euros, ISBN 978-2-9182-9806-9
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Un fauve avant l’heure