Suisse - Art moderne

MAISON D’ARTISTE

Un écrin pour Albert Anker

ANET / SUISSE

Après douze ans de travaux, la ferme familiale du peintre bernois ressuscite sa mémoire et devient un centre artistique.

Anet (Suisse). C’est l’un des peintres les plus fameux de Suisse au XIXe siècle. D’Albert Anker (1831-1910), on connaît ses harmonieuses scènes de la vie paysanne et villageoise, ses délicats portraits d’enfants à la qualité photographique ou ses natures mortes plus vraies que nature – des icônes suisses de la peinture déclinées à l’envi dans des produits dérivés. Et pourtant, la peinture d’Anker pâtit depuis de longues décennies d’une erreur d’appréciation : elle aurait, pour beaucoup, contribué à figer l’image d’une Suisse parfaite, éternelle et porteuse de valeurs conservatrices.

Le Centre Albert Anker (CAA) qui a ouvert ses portes début juin dans le village d’Anet, dans la région aux champs fertiles du Seeland (surnommé le « grenier de la Suisse »), à deux pas de la capitale, Berne, veut lui rendre justice en tordant le cou aux idées reçues. C’est un peintre sensible et engagé dans son époque, « un humaniste ouvert sur le monde et doté d’un large éventail d’intérêts » qui se dévoile au fil de la visite de cet ensemble – sa conservatrice, Daniela Schneuwly, n’hésite pas à comparer le lieu à un « Giverny suisse ». Tout comme la demeure et les jardins de Claude Monet dans l’Eure, le CAA a pris ses quartiers dans la maison historique d’Anker et de sa famille. Le peintre, fils et petit-fils de vétérinaires, destiné dans un premier temps à des études de théologie, y est né et décédé. Cette ferme imposante, bâtie par le grand-père d’Anker en 1803 au cœur du village, a fait l’objet d’une rénovation sensible et délicate : on y admire le jardin clos aux parterres de roses devant la bâtisse, on y musarde dans les pièces de cet intérieur bourgeois, reconstitué pièce par pièce. Dans le magnifique ancien grenier à blé attenant à l’habitation qui abrite les services d’accueil du centre, une exposition permanente se découvre en 15 sections brèves, mais richement illustrées. Elle esquisse par touches le portrait d’un artiste formé à Paris où il s’ouvre au monde et aux idées, rentré au pays où il portraiture des enfants et habitants du village d’Anet. On découvre la biographie de ce passionné d’archéologie et de langues anciennes, père de six enfants s’engageant pour des normes éducatives modernes et pour le soutien à l’art suisse de son temps – il est l’un des artisans de la création du Kunstmuseum de Berne et siège à la Commission fédérale des beaux-arts.

L’atelier de l’artiste, situé dans les combles de la maison, est le cœur palpitant du lieu. Gardé intact par la famille, son état de conservation est unique. Tout y est resté en place : de l’estrade où il faisait poser ses modèles du village aux petits jouets qui occupaient ses enfants lors des longues séances de pose, en passant par sa bibliothèque, ses murs chargés d’estampes, de souvenirs, d’inspirations – pour sa conservatrice, « l’esprit d’Albert Anker y est toujours perceptible ». Même les plafonds et les murs qui trahissent des longues années d’humidité ont été laissés en l’état, sans oublier les deux fenêtres qu’Anker fait percer dans le toit en 1860 (et encore fonctionnelles !) pour remplir son atelier de lumière zénithale – ouvrage pionnier inspiré par ses déambulations dans le Musée du Louvre à Paris. Elles seraient les premières lucarnes de toit à avoir existé sur le territoire suisse selon l’architecte des Monuments historiques.

Un nouveau pavillon

Douze ans auront été nécessaires pour mener à bien ce projet par le biais de la Fondation Albert Anker-Haus, créée en 1994, qui a racheté en 2016 la parcelle et le corps de ferme, inscrit en 2009 à l’Inventaire suisse des biens culturels d’importance nationale, et resté dans la succession Anker pendant sept générations.

C’est dans le jardin touffu et un peu sauvage que se découvre la dernière pierre à l’édifice du CAA, le pavillon d’art construit et achevé en 2022 par un architecte originaire du village. Ce pavilon sert tout à la fois de lieu d’exposition temporaire et de stockage d’archives et d’œuvres de la collection – c’est un véritable « Schaulager » selon son architecte Marcel Hegg qui a procédé à l’ensemble de la rénovation du site. La première exposition présentée cet été dans les 100 mètres carrés de la salle d’exposition est consacrée aux carnets de voyage d’Anker « dans la lumière du Sud ». Encore un autre aspect méconnu d’Anker – tout à la fois peintre de plein air croquant des paysages du sud de l’Europe à l’aquarelle, copiste des grands maîtres de la Renaissance italienne et cartographe précis de ses périples.

Centre Albert Anker,
Müntschemiergasse 7, Anet, Suisse. Exposition « Lumière du Sud » jusqu’à fin septembre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Un écrin pour Albert Anker

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