BORDEAUX
« Boire avec les dieux » confronte de belles pièces antiques venues de la collection Gandur à des œuvres de street-artistes. Un parcours agréable mais non exempt d’inexactitudes.
Bordeaux. La Cité du vin, Centre d’interprétation des cultures vinicoles dans tous les sens que peut prendre cette expression, devient cet été un petit musée d’archéologie en même temps qu’un spot de street art. Et cela grâce à une exposition qui marie ces deux aspects ; un accord plutôt réussi que peut se permettre cette institution gérée par une fondation privée, dont la vocation n’est pas celle d’un musée. Car le centre culturel inauguré en 2016 dans le quartier de Bacalan, au nord de Bordeaux, s’est fixé pour mission de transmettre le patrimoine culturel vivant de la viticulture.
Pour sa huitième exposition temporaire, la Cité du vin emmène ses visiteurs sur les traces de Dionysos, et revient donc sur l’origine mythologique du vin. Le dieu grec aurait en effet donné aux hommes la vigne, et leur aurait enseigné sa culture. Le parcours s’ouvre sur un très beau prêt du Musée d’art et d’histoire de Genève, la Situle dite « de Rothschild », une céramique à figure rouge narrant l’épisode peu illustré du don de la vigne.
Quelques mètres plus loin, c’est grâce à l’œuvre du collectif Monkeybird que le visiteur pourra découvrir le mythe d’Ampélos : ce jeune satyre, amant de Dionysos, aurait laissé le dieu inconsolable à sa mort et se serait changé en vigne. Le travail graphique des artistes, qui se déploie sur un grand triptyque, comble les lacunes de l’archéologie : on ne connaît pas de représentation de ce mythe parvenu jusqu’à nous grâce à Ovide. Les artistes Rouge et Delphine Delas sont également invitées à intervenir dans le parcours, pour représenter respectivement les fêtes dionysiaques et les voyages de Dionysos. Les propositions de ces différents créateurs, plus habitués aux rues de Bordeaux qu’aux cimaises des musées, s’intègrent harmonieusement à la scénographie générale, dans un travail d’illustration qui accompagne les objets archéologiques. Pas de confrontation violente entre l’Antiquité et la modernité donc, mais un effort de réinterprétation qui donne au parcours une atmosphère originale. De la même manière, quelques douches sonores invitent le visiteur à entendre le récit de mythes dionysiaques lus par un slameur bordelais.
Les stars demeurent néanmoins les objets, ceux en particulier de la Fondation Gandur pour l’art (Genève), qui construisent un parcours thématique : de l’approfondissement mythologique, où le visiteur est instruit sur la figure de l’étranger à laquelle Dionysos était assimilé, on passe aux aspects sociaux et historiques de la culture du vin à laquelle le dieu est associé. Utilisé lors des rituels et consommé dans les banquets de la Grèce antique, le vin devient un marqueur de civilisation chez les Romains. Dionysos s’appelle désormais Bacchus, et le vin constitue un produit de luxe intégré au mode de vie des classes dominantes.
Le parcours, sans choisir entre développements mythologiques et traitement socio-historique, livre un discours de vulgarisation aux intonations délibérément familières et adapté aux publics les plus réticents à l’approche archéologique. Un parti pris compréhensible, dans ce centre d’interprétation où le public se déplace pour un tout autre objet, mais qui ne justifie pas certains raccourcis. Ainsi, la salle consacrée au banquet recycle des clichés et présente quasiment le Satyricon (1969) de Fellini, dont un extrait est diffusé, comme une reconstitution historique. Les limites entre monde romain, monde grec et même celte – évoqué par une copie du Vase de Vix – sont aussi trop floues, quand on sait que les figures de Bacchus et de Dionysos ne sont pas identiques.
Bien plus claire et concise est la première partie consacrée à la mythologie du dieu, où l’exposition tire même du côté de l’histoire de l’art en présentant avec précision les évolutions dans la représentation de Dionysos et son cortège. Avec, à l’appui, quelques très beaux exemples, comme le Silène à l’outre venu de la Fondation Gandur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Un Dionysos un peu léger à la Cité du vin