Le 23 août 1898, Rops mourait à Corbeil-Essonnes, laissant derrière lui une œuvre sulfureuse vouée aux Enfers des bibliothèques. Avant que Paris ne présente ses dessins, sa ville natale lui rend un hommage d’autant plus remarquable que l’artiste y avait longtemps été jugé indésirable.
NAMUR. Rops a toujours vu dans Namur une ville bourgeoise et cléricale. Frondeur et libertin, l’artiste ne lui est pas moins resté fidèle, même si Bruxelles puis Paris l’ont attiré, car, pour lui, la modernité est affaire de capitale. À la Maison de la culture, la rétrospective offre nombre de chefs-d’œuvre rarement montrés, comme la Tentation de saint Antoine, l’Attrapage, l’Enlèvement ou la Mort au bal. Le parcours chronologique reprend les grandes étapes de la vie de Rops : la situation à Namur ; la rencontre avec De Coster et la formation d’une avant-garde bruxelloise ; la découverte de Paris ; le rapport au réel et sa modernité ; la stratégie de la rareté ; l’œuvre d’illustrateur, pour finir par deux facettes du personnage, l’écrivain et le voyageur. Guide obligé de cette exposition qui met l’accent sur la peinture et le dessin, l’ouvrage publié pour l’occasion livre des contributions qui renouvellent souvent l’approche. Deux aspects s’en dégagent : les représentations d’une réalité vouée à la modernité et cette iconologie décadente constituée, selon les termes d’Hélène Védrine, “à partir d’une bibliothèque et d’un musée imaginaires des plus disparates”. Le premier aspect, remarquablement défini par Didier Prioul, s’enracine dans le réalisme de jeunesse et investit de façon insolite un impressionnisme auquel l’artiste se révèle souvent sensible. Si on suit l’exposé de Jean de Palacio, la face décadente n’est pas éloignée de cette prise en compte du réel. Mais le naturalisme y semble pris de panique devant la révélation des mystères de la chair, dont Rops offrirait une interprétation en dévoilant ses “allégories érotiques et sacrées”.
Le théâtre de la vie moderne
Si la rétrospective et son volumineux catalogue aux reproductions trop souvent de piètre qualité présentent l’œuvre de Rops comme un système intellectuel, l’exposition du Musée Rops aspire à une exhaustivité sans autre prétention que la compréhension d’une des séries mythiques de l’artiste.
Entre 1878 et 1881, à l’intention du bibliophile parisien Jules Noilly, Rops conçoit ses Cent légers croquis sans prétention pour réjouir les honnêtes gens comme une comédie humaine traitée à partir du “demi-nu”. De la vie des couvents à la prostituée, en passant par la saltimbanque ou la cocotte, la diversité des mœurs modernes y trouve sa théâtralité. L’exposition conçue par Bernadette Bonnier et Véronique Leblanc, organisatrices de l’ensemble des manifestations du Centenaire, offre un aperçu presque complet de la série (91 dessins sur 114). L’étude iconographique menée pour l’occasion témoigne de l’importance de la série dans l’évolution de Rops. Ce dernier y assimile une actualité artistique dominée par Manet et Degas. Au fil de ces œuvres de commande qui mêlent le pire et le meilleur, il se révèle loin des systèmes et des schémas de pensée : vivant, simplement, car Rops est, et “nul autre ne pouvait être”.
- ROPS SUIS, AULTRE NE VEULX ESTRE, jusqu’au 12 octobre, Maison de la culture de Namur, 14 avenue Golenvaux, 5000 Namur. tél. 32 81 22 90 14. Catalogue 288 p., 1 650 FB. - CENT LÉGERS CROQUIS POUR RÉJOUIR LES HONNÊTES GENS, jusqu’au 12 octobre, Musée Rops, 12 rue Fumal, 5000 Namur, tél. 32 81 22 01 10. Catalogue 278 p., 2 325 FB.
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Un centenaire toujours vert
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Abonnez-vous dès 1 €Personnage atypique, libre penseur et artisan de génie, Rops se liera à Baudelaire avant de devenir un des illustrateurs les plus en vue de Paris. Barbey d’Aurevilly, Verlaine, Mallarmé, Péladan ou Darzens bénéficieront de ses frontispices, qui font autant vendre qu’ils ne choquent. Bien que ses principaux chefs-d’œuvre soient des dessins, ceux-ci sont la facette la moins étudiée de son travail. Du 21 octobre au 13 décembre, le Musée-Galerie de la Seita (12 rue Surcouf, 75007 Paris) en réunira une soixantaine, allant de 1861 à 1888 : une série des Sataniques et des Diaboliques (1882), et quelques-uns des Cent légers croquis pour réjouir les honnêtes gens, où se côtoient crayon gras, fusain, aquarelle, pastel et gouache, ainsi que détrempe et encre de Chine. L’Œil (n° 501) consacrera un dossier à cette exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Un centenaire toujours vert