PARIS - Histoire mouvementée que celle de la Croatie médiévale. Au IXe siècle, le territoire est carolingien ; au XIVe, la dynastie d’Anjou l’intègre à son royaume de Hongrie.
Entre-temps, le pays voit passer les combattants de la quatrième croisade, celle chroniquée par Geoffroy de Villehardouin (1148-1213). Alors que les troupes arrivent aux portes de Zara (l’actuelle Zadar), le chevalier ne tarit pas d’éloges sur la magnificence de la ville : « En vain vous auriez demandé une cité plus belle, plus forte, ou plus riche. Et quand les pèlerins la virent, ils s’émerveillèrent beaucoup… » Empruntant son titre aux mots du croisé, l’exposition du Musée de Cluny, à Paris, parvient à ressusciter auprès du public d’aujourd’hui l’éblouissement qui fut celui des hommes de 1202. Le mérite en revient avant tout aux objets d’orfèvrerie, dont l’éclat contraste avec le gris sobre des cimaises. Dans la première salle, les deux bras reliquaires de saint Jean le Bienheureux accueillent le visiteur, levés comme dans un salut démonstratif. Le reliquaire anthropomorphe est un classique de l’art médiéval, mais les fidèles croates les apprécient réunis par paires. En 1399, cet intérêt singulier les pousse à commander la réalisation du bras droit, plus d’un siècle après celle du bras gauche. Dans une vitrine adjacente, la jambe de saint Nérée (mi-XIVe siècle), représentée dans son intégralité du pied à la cuisse, témoigne d’une autre spécificité locale. Quant aux trois petites châsses en forme de calotte crânienne (XIIe et XIVe siècle), à la fois coffrets et illustrations de leur contenu, elles sont les représentantes d’un mince corpus réunissant une trentaine d’exemplaires encore conservés, caractéristiques de la dévotion pratiquée dans environs de Dubrovnik.
Outre les divers contenants destinés à recevoir de saints ossements, ce premier espace présente également quelques bijoux et fragments d’architecture d’époque carolingienne. Les thèmes paléochrétiens s’y mêlent à des motifs végétaux stylisés communs à toute l’Europe contemporaine.
Désirée par le gouvernement croate, conçue comme un temps fort d’un Festival de la Croatie en France destiné à promouvoir l’image du pays à la veille de son intégration à l’Union européenne (lire le JdA no 375, 21 septembre 2012), l’exposition vient appuyer le mot d’ordre de la manifestation. Car si les objets présentés racontent cinq cents ans de création artistique, ils illustrent avant tout les liens tissés par ce biais entre la Croatie et ses voisins européens. Les objets et les savoir-faire voyagent et les œuvres en sont la preuve : une croix d’autel (1310-1350) conservée à Trogir porte les poinçons de la ville d’Avignon tandis qu’une Vierge à l’Enfant de Zadar (fin XIIe) rappelle les canons byzantins véhiculés via Venise. Les idées circulent, les manuscrits qui les contiennent aussi.
Une Croatie européenne
La seconde partie de la présentation expose quelques ouvrages intéressants, dont un Passionnaire du XIe siècle commencé en Toscane et complété à Split, ou encore un exemplaire de la Métaphysique d’Aristote dont les marges sont couvertes de commentaires de Thomas d’Aquin. Réalisé en France au XIVe siècle, l’ouvrage appartient au couvent des dominicains de Dubrovnik.
Circonscrite dans deux petites salles, l’exposition apparaît un peu courte. Comme le reste du festival, elle a bénéficié de délais très courts pour sa conception et il est déjà notable que le musée ait obtenu ces prêts venus, outre les villes précitées, de Pula, Zadar, Nin, Zagreb, Rab ou Sibenik.
La scénographie, notamment l’éclairage de certains cartels, pâtit également parfois d’un manque de moyens. Reste que certaines œuvres méritent à elles seules le déplacement. C’est le cas de la mitre de l’évêque Gyula, créée au XIVe siècle et point d’orgue de la présentation. Sa surface de tissu disparaît sous les multiples rangs de perles brodées, les plaques d’argent doré et les trois cents pierres précieuses qui la décorent. Les montures de ces saphirs, rubis ou émeraudes rappellent le travail d’un orfèvre vénitien et illustrent une fois de plus la richesse des échanges artistiques de l’époque. C’est également le cas de la couronne exposée à côté. Offrande d’inspiration italienne faite par une reine venue de Bosnie à un saint croate, elle était accompagnée d’une jolie bague gothique portant une inscription… en français.
Jusqu’au 7 janvier 2013, Musée national du Moyen Âge, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, lj sauf mardi, 9h15-17h45.
Catalogue : éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 96 p., 22 €.
- Commissariat : Nikola Jakšic, professeur émérite de l’université de Zadar ; Miljenko Domijan, conservateur en chef, ministère croate de la Culture ; Élisabeth Taburet-Delahaye, directrice du Musée de Cluny ; Michel Huynh, conservateur en chef au Musée de Cluny
- Nombre d’œuvres : 43
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Un art croate ouvert sur l’Europe
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Un art croate ouvert sur l’Europe