Alors que les Lumières consacrent le progrès et que des révolutions constellent le monde de fols espoirs, l’empire du doute inonde l’art, noircit la foi, assombrit les idées comme les formes.
Étrange irruption que celle de l’irrationnel et de l’excès dans ce siècle de la Raison majuscule, de la pensée algébrique. Au sortir des salles du Musée d’Orsay, peuplées de quelque deux cents œuvres, dont certaines ont rarement joui d’une présentation hexagonale – ainsi celles de Thomas Ender et de Carl Blechen –, le visiteur ressemblera aux artistes délaissés : il vibrera et tremblera, froncera les sourcils en regagnant le jour, convaincu désormais que les obscurités intérieures valent les évidences diurnes.
Rivage avec la lune cachée par des nuages (1836), de Friedrich, résume à lui seul ce « romantisme noir », une locution forgée par l’historien de la littérature Mario Praz. Une mer encore calme – peut-être avant la tempête –, un ciel encore serein – peut-être avant l’orage –, un temps suspendu – sans doute avant le déluge. Le monde s’est obscurci, le bruit s’est tu. La lune est un soleil noir, un astre comme une plainte. Tout est énigme et solitude dans cet univers spectral digne de Baudelaire, Wagner, Feuchère ou Murnau.
Du reste, cette convocation de nombreux domaines – beaux-arts, littérature, cinéma, musique – est décisive en tant qu’elle permet de mettre au jour l’importance comme la permanence de cette noire tendance, quand le frisson devient leitmotiv, quand la dissonance a droit de cité.
Ainsi l’exposition dessine-t-elle, depuis les contre-feux révolutionnaires (Goya, Füssli, Blake) jusqu’au brasier surréaliste (Magritte, Ernst, Buñuel), une histoire des idées – noires – et une idée des histoires – vertigineuses, ensorcelées, oniriques, saturniennes, désenchantées. Experts en auscultations intimes et en explorations intestines, ces artistes allaient ensevelir les idées orthonormées et les oripeaux de la vraisemblance pour faire du superlatif comme de l’extravagant des épithètes sublimes.
« L’ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst », Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris-7e, www.musee-orsay.fr
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Un ange trépasse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°657 du 1 mai 2013, avec le titre suivant : Un ange trépasse