NANTES
Internationale et en même temps ancrée dans la région, une exposition nantaise raconte la marque laissée par le chemin de fer dans les arts visuels en s’appuyant sur des œuvres peu connues.
Nantes. Présentée comme une première française sur le sujet, l’exposition « Le voyage en train » s’annonçait enthousiasmante. On espérait une rétrospective contenant la reconstitution de la première série de Claude Monet qui a peint, en 1877, onze vues de la gare Saint-Lazare. Mais la plupart sont aujourd’hui conservées à l’étranger et celle du Musée d’Orsay est au Louvre Abu Dhabi. Or l’exposition nantaise n’ayant été programmée que récemment pour accompagner une nouvelle manifestation prévue pour les fêtes de fin d’année – « Le Voyage en hiver » –, il fallait se tourner de préférence vers des prêteurs français. Les musées, notamment Orsay, ont été généreux. À Lausanne, s’est terminée, quelques jours avant l’ouverture de celle de Nantes, l’exposition « Train Zug Treno Tren » qui célébrait l’inauguration de Plateforme 10, un quartier des arts installé sur le site d’un ancien atelier de la gare et dont le directeur général n’est autre que Patrick Gyger, qui a été directeur du Lieu Unique à Nantes. Grâce à ces connexions, quelques œuvres ont pu faire le trajet depuis la Suisse, tel le pastel futuriste Il Treno in arrivo alla stazione di Lugo de Roberto Marcello Baldessari (vers 1916).
Il ne s’agit donc pas de présenter des incontournables, à l’exception de L’Arrivée d’un train à La Ciotat des frères Lumière (1896), ni de proposer une vision exhaustive de la place du train dans l’art que développe le copieux catalogue. Le propos est d’amener le visiteur à faire des découvertes et de l’inviter à la réflexion sur la manière dont le chemin de fer a changé le regard des artistes et du public. Les limites temporelles de la centaine d’œuvres présentées sont fixées aux années 1840-1930 mais, fidèle au choix adopté pour les salles du musée, le commissaire Jean-Rémi Touzet a multiplié les contrepoints plus récents.
Le parcours se déroule sur deux niveaux consacrés aux deux paramètres qui président à la vie du rail : l’espace et le temps. En guise d’exergue humoristique, la toile Adieu la mythologie de Frédéric Auguste Sonntag (pseudonyme de Frédéric Auguste Bartholdi), de 1870, montre une petite tribu de faunes et de nymphes avec leurs enfants fuyant à l’arrivée d’une locomotive. Un écho à toutes les craintes et espérances qu’a pu susciter ce nouveau mode de transport.
Dans la première salle sont présentées les peintures et photographies consacrées à la construction du chemin de fer ou le montrant dans le paysage. Le célèbre tableau de William Turner, Rain, Stream and Speed (1844) n’a pas fait le voyage depuis Londres, mais la gravure qu’en a tirée Félix Bracquemond, La Locomotive (vers 1872-1873), rappelle que les peintres français réfugiés en Angleterre pendant la guerre de 1870, dont Claude Monet, connaissaient l’œuvre. Train dans la campagne (vers 1870) et Charing Cross Bridge, la Tamise (1903) de ce dernier figurent ici, au côté de Pont du chemin de fer à Chatou d’Auguste Renoir (1881), Le Pont de l’Europe de Gustave Caillebotte (vers 1876) et Wagons de chemin de fer à Arles de Vincent Van Gogh (1888).
Des petites attentions sont destinées aux visiteurs nantais. Ici, ils trouvent Les Usines (1902), une peinture sur carton de Jean-Émile Laboureur, peintre et illustrateur né à Nantes. Ailleurs, c’est Portrait of Colonel *** dit aussi Gentleman in a Railway Carriage de James Tissot (1872) qui, malgré sa carrière internationale, reste un compatriote, tout comme Jules Grandjouan, auteur du dessin Compartiment de chemin de fer (1922).
L’espace créatif destiné aux enfants, mais aussi aux adultes, en fin de parcours, permet de s’asseoir dans des compartiments et de contempler la campagne qui défile : dans le cadre des fenêtres est projeté le film du paysage qu’offre la ligne du TGV Nantes-Paris. L’exposition se termine par une installation récente, Derrière l’horizon de Corentin Leber et de membres du club de modélisme Mini rail nantais. Cette commande du musée, sur le modèle de 1 to 87 de Fiona Tan (l’œuvre de l’artiste indonésienne a été présentée à Lausanne), de 2014, fait circuler un train électrique dans un paysage où apparaissent les marais salants de Guérande.
Entre-temps, le visiteur aura découvert le Panorama du chemin de fer transsibérien de Pavel Piasetski de 1900 (neuf rouleaux d’un kilomètre au total, filmés en 2020 par François Armanet), la reine Victoria à la fenêtre de son compartiment (The Queen’s Return from the Highlands, de W.A. Donnelly, 1879) et les aquarelles qu’elle peignait en train (numérisées). Il mesurera l’importance des signaux ferroviaires pour l’art du XXe siècle grâce à Signal 1 de Takis (1968) et aura souri devant les caricatures d’Honoré Daumier et Un train de plaisir ! Complet !!! de Lucien Schmidt (1880), montrant sept vaches observant le visiteur depuis les fenêtres d’un wagon (les trains de plaisir étaient réservés aux excursions). D’autres tableaux, enfin, – Seen from the Train de George Watts (1899), La Mort de la pourpre de Georges Rochegrosse (vers 1914), Piazza d’Italia de Giorgio de Chirico (fin des années 1940, voir ill.), La Gare forestière de Paul Delvaux (1960) et La Conversation de Leonor Fini (1967) – apportent une touche onirique ou métaphysique à ce périple.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Trains de plaisir