PARIS
En une centaine de tableaux, la rétrospective « Soulages » du Centre Pompidou retrace l’itinéraire sans écart d’un des plus célèbres peintres français. Des tout premiers travaux de 1946 jusqu’aux toiles les plus récentes, l’œuvre de Pierre Soulages révèle sa cohérence au fil d’un parcours d’une forte densité.
PARIS - Avec l’exposition Soulages, voilà le Centre Pompidou et le Musée national d’art moderne (MNAM), à Paris, confortés dans leur rôle : la célébration des classiques du Xxe siècle. Blockbuster à la française, Soulages apparaît ici en héros monolithique, avec une œuvre massive, construite sur des hypothèses réduites autour du noir, sa marque.
De l’encrier noir de ses 7 ans dont il se souvient lors d’un entretien avec Pierre Encrevé (co-commissaire avec Alfred Pacquement) aux derniers polyptyques, l’histoire semble ne pas faire un pli. Elle propose une cohérence remarquable, depuis les tout premiers travaux de 1946 jusqu’aux grandes peintures récentes sur lesquelles l’exposition met l’accent, en passant par la révélation de 1979 qui conduit l’artiste vers ce qu’il nomme l’« Outrenoir ». L’œuvre se montre ainsi d’un seul tenant, cultivant une lisibilité, cette accessibilité publique qui fait de Soulages un artiste très exposé (plus d’une cinquantaine d’expositions personnelles depuis 1979, note Alfred Pacquement, qui signait déjà celle du MNAM précisément en 1979). Mais l’itinéraire est aussi marqué par des inflexions majeures, comme le relèvent ses exégètes, et comme aussi il s’en explique volontiers.
Le présent accrochage, compact, dense, confirme une telle lecture. Il signale les décisions portant sur les supports et les médiums, depuis l’usage des brous de noix et bitumes dans les années 1950 jusqu’à l’obtention de la consistante matière acrylique en pâte, ce corps noir qu’il travaille depuis 2004. Et les étapes de cette pensée de la lumière qui se nourrit d’une phénoménologie assez simple, doublée d’une pensée de l’art à beaucoup d’égards traditionnelle, attachée à l’atelier, à l’inspiration, à la rhétorique du mystère et du spirituel – mais pas du religieux. Un parcours dont la densité est toutefois un peu asphyxiante, effet que les nécessaires bas niveaux d’éclairage accusent. Il tend à contenir la démarche dans une succession de manières, sans doute difficile à contourner dans une œuvre si continue, construite depuis son début, dit encore Alfred Pacquement, sur « quasi exclusivement les mêmes fondements ».
Il faudra donc déployer une attention soutenue pour lire les écarts, amorces, retraits ou changements de direction dans des choix d’écriture subtils. L’appel vers les peintures récentes, qui constitue la dramaturgie sous-jacente à l’exposition, risque bien de faire passer discrètement des moments comme les trois goudrons sur verre de 1948, ou une huile au signe rythmique telle Peinture 202 x 327 cm, 17 janvier 1970. Si la densité des œuvres y est encore forte, la salle 10 et ses pièces suspendues répondent à une attente de monumentalité qui certes a tenté Soulages, mais n’est pas nécessairement passionnante : l’économie de la grande maturité de l’artiste ainsi concentrée n’évite pas un effet d’autorité ou de théâtralité, une certaine pompe dans le vide du « white cube ». Le tableau y apparaît paradoxalement comme une contrainte, malgré ou à cause de l’accrochage dans le vide des polyptyques, principe expérimenté par Soulages dès 1966. Mais dans le même temps, au risque de se voir trop facilement réduites au phénomène, ou d’être perçues comme les monochromes qu’elles ne veulent pas être, les grandes pièces récentes de la fin du parcours réconcilient radicalité et accessibilité.
Densité haptique
Si cette « force de frappe » de l’œuvre récent pose question, il est précieux d’aller chercher dans le catalogue qui accompagne l’exposition ses ancrages dans l’itinéraire de l’artiste. Au méthodique parcours retracé par Pierre Encrevé, grand familier de Soulages et de son œuvre, à la chronologie à l’échelle de soixante ans de carrière et au catalogue des 104 numéros de l’exposition s’ajoutent des études qui situent le travail dans ses origines et ses contextes, biographiques d’une part, géopolitiques de l’autre.
Serge Guilbaut pointe ce moment où la scène américaine « greenbergisée » freine sur un art « trop européen » (Soulages est pourtant de ceux qui ont mis le pied à New York), tandis qu’Yve Alain Bois, Guitemie Maldonado, Harry Coover, Annie Claustres et Isabelle Ewig se penchent sur les écritures picturales de l’artiste (respectivement le verre, le brou, la constitution de la figure, l’économie gestuelle, le noir-lumière). Hans Belting documente l’exposition de Soulages à Dakar en 1974 et ses enjeux, et Éric de Chassey regarde les vitraux de l’abbatiale de Conques (Aveyron), inaugurée en 1994. C’est cette épaisseur-là presque autant que celle de sa pâte acrylique à la densité haptique qui fait Soulages.
SOULAGES, jusqu’au 8 mars 2010, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21, jeu. jusqu’à 23h, www.centrepompidou.fr. Catalogue, 325 p., 44,90 euros.
Et aussi : « SOULAGES, LE TEMPS DU PAPIER », du 31 octobre au 3 janvier 2010, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.
SOULAGES
Commissaires : Alfred Pacquement et Pierre Encrevé
Surface d’exposition : 2 100 m2
Nombre d’œuvres : 104 œuvres, entre 1946 et 2009
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : Tout Soulages