Si la monographie de Gand permet d’opérer une lecture précise de l’œuvre de McCarthy, elle dissipe également toute tentation de lecture « psychanalysante » des obsessions de ce sexagénaire.
Les perversions sexuelles, le puritanisme nord-américain et son extravagance consumériste, les dérives de l’éducation, certaines figures iconiques de l’enfance et de l’industrie des loisirs n’ont rien à voir avec une éducation rigoriste, de quelconque maltraitance, une perversion polymorphe incurable. Au contraire, même si on a peine à le croire après avoir visionné ses vidéos sanguinolentes et vu moult pénis flasques, Paul McCarthy est une personne sympathique et modeste, très cultivée, à mille lieues de la figure démoniaque et « scato » qu’il aime sculpter.
Un humour très noir
Inutile de sortir l’artillerie freudienne, l’œuvre mccarthienne est davantage une critique culottée et acerbe du rêve américain, d’un modèle culturel perverti que l’illustration d’un traumatisme primaire ou un simple défoulement d’ado attardé. Le chaos, la terreur, la luxure sont mis en scène par l’articulation de l’improvisation à une volonté consciente, un but analytique bien défini. « La plupart de mes pièces traitent de la question de l’initiation, de l’innocence à la culture », et l’artiste d’ajouter : « j’ai toujours été intéressé par la répression, la culpabilité, le sexe et la merde ».
Alors que ses premières performances en noir et blanc démontrent un engagement très physique à la limite de l’hystérie dans une peinture, parodie de l’expressionnisme abstrait américain, McCarthy opère un tournant en 1975 avec Sailor Meat. L’artiste, dans cette performance où il est déguisé avec des sous-vêtements féminins et coiffé d’une perruque blonde, manipule ceux qui deviendront ses matériaux fétiches : ketchup, mayonnaise, chocolat, viande crue. La scène se met bientôt à dérailler lorsque cette figure humaine dégradée se met à caresser puis simuler l’acte sexuel avec un tas de bifteck haché.
L’avilissement, la déviance, la présence de fluides singeant ceux du corps, telle est l’inlassable grammaire de McCarthy, roi de l’autosubversion et de l’exagération. Les premières minutes surprennent toujours, que l’on assiste à l’enregistrement d’une performance ou que l’on visionne une vidéo plus élaborée des années 1980. Puis la parodie l’emporte, cet absurde baroque qui qualifie le bonhomme, affublé dans d’autres pièces d’un masque de héros de dessin animé, en train de fourrer dans son slip détendu des poignées de mayonnaise blanche, de raconter des histoires à une Barbie torturée mais stoïque. Les fantasmes culturels inconscients et les désirs pervers finissent toujours par éclater au grand jour dans un rire régressif et un gargouillis de ketchup, faux sang à l’odeur âcre qui flotte souvent sur les expositions de McCarthy.
Qu’il transforme son pénis en saucisse à hot-dog, ou qu’il singe les programmes éducatifs de la télévision américaine, l’artiste n’a qu’un seul but, souligner le conditionnement culturel auquel on soumet l’éducation, exagérer la culpabilité envers les comportements sexuels instinctifs, les crises identitaires. Le grand cirque qu’il crée autour permet une assimilation complexe, entre dégoût et amusement, assumant le grand guignol des situations jusqu’à la rébellion. On est évidemment proche du cinéma gonzo, des séries B, des films déviants à petits budgets, où l’érotisme pathétique flirte avec une violence exagérée.
Galerie de portraits
Dans Painter (1995), McCarthy dissimulé sous un costume grotesque et un masque, met de longues minutes à sectionner un de ses énormes doigts en plastique avec un hachoir émoussé, le tout dans un rire hystérique aussi glaçant que contagieux. En cinquante minutes de performance, les programmes pédagogiques télévisés, ceux destinés au jeune public, le fameux processus créatif sont cloués au pilori. Et comme si cela ne suffisait pas, l’artiste a diffusé cette vidéo à un nombre illimité de cassettes VHS. Mission d’évangélisation laïque en vérité bien spéciale !
Depuis, McCarthy s’est emparé de la figure du père Noël, de Pinocchio, de Heidi, mais aussi d’Oussama Ben Laden, de la reine d’Angleterre et de George W. Bush, tous trois rassemblés dans l’opus infantile Picadilly Circus (2003), et clou du spectacle à Gand, des histoires de piraterie. Pirates des Caraïbes (2003-2006) comprend quatre volets, dont la reconstitution d’une frégate et d’un monde sous-marin, deux vidéos riches en beuveries, viols, pillages et amputations, lointaine évocation de l’attraction phare du Disneyworld californien. Avec ce dernier opus, McCarthy s’empare d’un sujet plus âpre encore : le besoin d’invasion, qu’elle soit capitaliste ou impérialiste. On comprend immédiatement en regardant les dates de réalisation à quel contexte ce bateau fantôme fait cruellement référence. Paul McCarthy s’est ainsi créé un bestiaire légendaire et cruel, un monde de nouvelles superstitions et de hantises, une entreprise totale et jouissive de déconstruction des totems et des tabous de la société américaine.
Informations pratiques « Paul Mc Carthy, Head Shop/Shop Head. Works 1966-2006 », jusqu’au 17 février 2008. SMAK (musée d’Art contemporain de Gand), Citadelpark z/n, B-9000 Gent, Belgique. Tous les jours sauf le lundi de 10”‰h à 18”‰h. Tarifs : 6”‰€ et 4”‰€, tél. 32 (0)9 221 17 03, www.smak.be
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Totems et tabous de McCarthy
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°598 du 1 janvier 2008, avec le titre suivant : Totems et tabous de McCarthy