Au Louvre, plus de 80 tableaux évoquent la peinture à Venise dans la seconde moitié du XVIe siècle. Une période au cours de laquelle la suprématie de Titien est contestée par quelques jeunes peintres talentueux, dont Tintoret et Véronèse.
La dernière grande exposition française sur le sujet remonte maintenant à plus de quinze ans. C’était en 1993, au Grand Palais, lors du « Siècle de Titien ». Sous la houlette de Michel Laclotte, alors directeur du musée du Louvre, le public avait eu l’occasion de découvrir une série de chefs-d’œuvre de la peinture vénitienne du xvie siècle. Titien y apparaissait sans conteste comme la figure centrale. Depuis, seules quelques expositions dossiers ont permis de nuancer ce point de vue sur la peinture vénitienne, dont la lecture actuelle met davantage en exergue d’autres personnalités artistiques. La réunion au musée du Louvre de quelque quatre-vingt-six tableaux, dus à Titien, Tintoret, Véronèse ou encore Bassano, constitue donc l’événement de la rentrée culturelle.
Un environnement politique, économique et religieux propice à la peinture
Organisée en partenariat avec le musée des Beaux-arts de Boston, l’exposition traite de la période la moins étudiée de la peinture vénitienne, la seconde moitié du xvie siècle. Après un début de siècle marqué par les figures des Bellini, de Giorgione puis par l’ascension du jeune Titien, qui va rapidement devenir le peintre incontournable de la Sérénissime, le climat artistique évolue sensiblement. « La seconde moitié du siècle est l’époque où Titien, dont les concurrents se trouvaient précédemment hors de Venise, doit se confronter à une nouvelle génération d’artistes », explique Vincent Dieulevin, l’un des commissaires de cette exposition et conservateur au département des peintures du musée du Louvre. De par son régime politique particulier, celui d’une république autonome, Venise demeure l’un des plus brillants foyers artistiques de la péninsule italienne, notamment en matière de peinture. Les arts y sont favorisés par l’existence d’un nombre important de commanditaires : l’église, les grandes familles, mais aussi un puissant réseau de confréries, les scuole. L’absence d’art de cour favorise l’expression de multiples talents, souvent mis en concurrence dans le cadre de concours publics. Puissante économiquement et politiquement, la Cité des Doges commence néanmoins à entrer dans une phase de déclin. Dès les années 1540, le conflit avec l’empire Ottoman entraîne la perte de plusieurs places en mers Égée et Adriatique. En 1571, les Vénitiens et leurs alliés remportent la célèbre bataille de Lépante, au large de la Grèce. Mais celle-ci, marquée par la perte finale de Chypre pour Venise, demeure symbolique et marque le début de la perte d’influence de la Sérénissime. « À l’époque, note Arturo Galansino, collaborateur scientifique au musée du Louvre, la conscience de ce déclin n’était toutefois pas la même. Pour les Vénitiens, la bataille de Lépante reste considérée comme un événement phénoménal, célébré par des commandes prestigieuses. »
Les événements s’acharnent pourtant contre Venise. Cinq ans plus tard, la peste frappe la ville et emporte de très nombreux habitants, dont le peintre Titien. L’année suivante, une partie du Palais des Doges, symbole du pouvoir de la Cité, disparaît dans les flammes. Les travaux de recréation de son décor donneront lieu à une belle passe d’armes entre les deux grands rivaux, Tintoret et Véronèse, protagonistes majeurs de cette peinture vénitienne encore florissante. Preuve que l’histoire culturelle n’évolue pas strictement en fonction de l’histoire politique et économique...
Tintoret à sa juste place
La dernière publication en langue française datait de la fin des années 1920. « Même les textes de Jean-Paul Sartre sur l’artiste n’ont pas été réédités », précise Guillaume Cassegrain, maître de conférences à l’université Lyon-II et auteur d’une nouvelle monographie sur le peintre, parue chez Hazan (Tintoret, 320 p., 250 ill., 69 €). Jacopo Robusti, dit Tintoret, artiste inclassable, concurrent de Véronèse et auteur de nombreux cycles décoratifs dont celui de la Scuola di San Rocco, à Venise, reste étrangement un peintre encore mal connu du public.
Longtemps la victime de son « matérialisme »
La première grande exposition consacrée à sa peinture n’a été organisée qu’en 2007 par le musée du Prado, en Espagne. Elle n’est pas venue en France. « On a longtemps argué que Tintoret était mal étudié parce que la plupart de ses œuvres ne sont visibles qu’à Venise, explique Guillaume Cassegrain. Cette réponse est trop réductrice. Je pense que c’est plutôt son esthétique qui pose problème car Tintoret n’a pas de style identifiable et en change souvent. Il est un formaliste et sa peinture ne correspond pas à un goût particulier. » D’où, également, d’innombrables difficultés en termes d’attributions. « Sartre, auteur de plusieurs textes sur le peintre, a compris que Tintoret était un matérialiste, poursuit Guillaume Cassegrain. Tintoret a privilégié les recherches sur la composition, dans le but de produire un effet physique sur le spectateur, cela au détriment du style. Mais Sartre a aussi véhiculé de nombreux clichés sur lui, notamment sur son extraction modeste. » L’ouvrage tente donc de faire une mise au point sur ce peintre « transgressif », qualifié de « grain de poivre » par l’un de ses contemporains, le dramaturge Andrea Calmo. Il entend aussi apporter une pierre à la connaissance de la peinture vénitienne du xvie siècle. « On arrivera à mieux connaître Titien en le prenant par la marge, estime son auteur, c’est-à-dire en étudiant davantage les autres artistes. » Et de citer d’autres méconnus talentueux, tels Pordenone, Corona et même le fils de Tintoret, Domenico. Autant d’artistes sur lesquels il reste encore presque tout à écrire.
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Titien, Tintoret, Véronèse... Le choc des titans
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1488
Naissance de Titien à Pieve di Cadore.
1516
Titien devient peintre officiel de la Sérénissime.
1518
Naissance de Tintoret à Venise.
1528
Véronèse naît à Vérone.
1545-1563
Concile de Trente qui théorise les principes de la Contre-Réforme catholique.
1553
Véronèse est appelé à Venise pour peindre les plafonds du Conseil des Dix au Palais des Doges.
1571
Bataille de Lépante : victoire du Pape Pie V, de Venise et de l’Espagne sur les Ottomans.
1576
Titien décède à Venise, emporté par la peste qui frappe la ville.
1577
Incendie d’une partie du Palais des Doges. Tintoret et Véronèse participent aux travaux de décoration.
1588
Décès de Véronèse à Venise.
1594
Tintoret s’éteint à Venise.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°617 du 1 octobre 2009, avec le titre suivant : Titien, Tintoret, Véronèse... Le choc des titans