Artisanat d'art

Tisser la lumière

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 19 mars 2025 - 1276 mots

Des premiers ornements cousus sur les vêtements aux robes flamboyantes de la styliste chinoise Guo Pei, en passant par les caftans dorés du Maghreb, les soieries indiennes ou les kimonos scintillants de l’ère Edo, le Musée du Quai Branly invite jusqu’à cet été à un voyage millénaire au fil de l’or.

Pour remonter le fil de l’histoire de l’or jusqu’à son origine, il faut lever les yeux vers le ciel. Ce métal précieux que les Incas considéraient comme la « sueur des dieux » serait né de l’effondrement d’étoiles massives, les supernovas, et de collisions d’étoiles à neutrons. Des atomes d’or se seraient alors formés dans l’espace, il y a environ 4 milliards d’années, et la terre en formation aurait été battue d’une pluie d’or. Les particules de ce métal qui deviendra si précieux aux yeux des humains se seraient intégrées à la croûte terrestre, avant de remonter par l’activité des volcans, et se retrouver dans les cours d’eau, sous forme de paillettes et de pépites. « La découverte de l’or par les hommes commence à la Préhistoire », explique Hana Al Banna-Chidiac, archéologue et ancienne responsable de l’unité patrimoniale Afrique du Nord et Proche-Orient, au Musée du Quai Branly, co-commissaire de l’exposition « Au fil de l’or. L’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant ». Découvrant que ce matériau resplendissant est malléable, ils apprennent à l’aplanir, le découpent, le fixent sur leurs habits, confectionnent des parures. « Les premiers ornements en or, retrouvés dans la nécropole de Varna, à l’est de la Bulgarie, au bord de la mer Noire, datent du Ve millénaire avant notre ère », observe Hana Al Banna-Chidiac. Pendant des millénaires, hommes et femmes utilisent ces ornements appliqués sur le textile pour faire resplendir leurs vêtements… jusqu’au moment où la maîtrise de l’affinage de l’or permet de marier ce métal précieux aux fibres textiles. « Les plus anciens filés d’or, des galons tressés découverts dans un palais royal en Syrie, remontent à 3 000 avant notre ère. C’est donc là probablement, dans la région de Syrie-Anatolie, que naît la technique de fabrication des fils d’or qui s’étirent de plus en plus au cours des siècles. Avec les conquêtes d’Alexandre, qui ouvrent les portes de l’Orient, ils pénètrent petit à petit dans le monde méditerranéen. Cet art va ensuite remonter en Europe, à l’époque romaine », raconte la commissaire.C’est ainsi un voyage millénaire, du ciel à la terre, et à travers les continents, que déroule l’exposition, dans un parcours qui s’ouvre avec une histoire de l’intégration de l’or dans le textile, scandé par les créations oniriques de haute couture de la Chinoise Guo Pei. Une façon de mettre en lumière les somptueux vêtements portés au XIXe et début du XXe siècle par les femmes en Orient, du Maghreb et au Japon, en passant par les pays du Moyen-Orient, l’Inde et la Chine : caftans brodés d’or, robes de mariée, costumes de fête ou de théâtre, saris d’or et de soie, et kimonos scintillants, des tenues révélant le désir de se vêtir de cette lumière venue des étoiles. Au fil des pièces, d’étoile en étoile, se dévoilent savoir-faire traditionnels et inventions techniques dans l’histoire, de l’invention du filé d’or à celle du Lurex au XXe siècle, qui imite le métal précieux pour permettre à tout un chacun de briller de mille feux.

Le Maroc à la mode andalouse

En 1492, après la prise de Grenade, des milliers de musulmans et juifs, expulsés par les rois catholiques, trouvent refuge au Maghreb. Parmi eux, des brodeurs d’or, qui participent au renouveau de l’artisanat de luxe. Les citadines aisées de Tétouan, de Salé et de Fès s’empressent d’adopter les costumes andalous, en particulier ceux des Grenadines. Le caftan, vêtement d’apparat en vogue à la cour de Bagdad dès le IXe siècle, puis dans l’Espagne musulmane, se répand ainsi au Maroc à partir du XVIe siècle.

Sarong d’or et de couleurs en Indonésie

Rouge, indigo, beige ! Des dessins à la cire, qui ne prennent pas la teinture, sont tracés sur l’étoffe, à laquelle on applique un bain de teinture pour chaque couleur. C’est ce qu’on appelle la technique du batik, dont le prix est d’autant plus élevé que les couleurs sont plus nombreuses. Ce sarong somptueux appartenait ainsi à une femme de la haute société sino-javanaise. Les motifs dorés ont été réalisés avec une feuille d’or, si onéreuse qu’elle n’a été appliquée que sur la partie visible de ce long tissu savamment drapé autour de la taille.

Tisser la lumière au Moyen-Âge

Des griffons d’or ailés s’affrontent de part et d’autre d’un arbre de vie stylisé. Si les filés d’or, obtenus par l’enroulement en spirale d’une lame d’or autour d’une lame textile, existent depuis le 1er siècle, les tisserands médiévaux cherchent à déployer de nouvelles techniques pour obtenir des fils dorés plus légers, plus malléables, moins onéreux. Pour cette chasuble andalouse, réalisée dans un samit, précieux tissu de soie, ils ont remplacé les bandes de métal précieux par des lamelles d’origine animale recouvertes d’une feuille d’or.

L’or éternel

Il a fallu cinq années pour réaliser cette robe de mariée traditionnelle, cousue à la main de fils d’or et selon une trentaine de points de broderies issus du monde entier. Guo Pei, née à Pékin en 1976, a été nourrie des histoires du temps d’avant, sous la dynastie Qing (1644-1912), quand les dames rivalisaient d’élégance en costumes de soie brodée, est une des premières créatrices de mode en Chine à s’être lancée dans la haute couture. Ses robes mêlent des techniques ancestrales à une esthétique contemporaine onirique.

L’Égypte et l’Occident

Porter une robe comme celle de l’impératrice Eugénie ! C’est le désir de toutes les Égyptiennes des classes aisées du Caire, depuis la venue de l’épouse de Napoléon III pour l’inauguration du canal de Suez. À la fin du XIXe siècle, elles demandent à leurs couturières des robes serrées à la taille, des jupes avec des traînes. Le décor brodé de ce très beau costume de mariée a été confectionné selon la technique du dival : un motif a été dessiné sur un carton pour être finement découpé et plaqué sur le textile, puis recouvert de fils d’or.

Un avant-goût de Bollywood

Le zardozi ? Une opulente broderie à motifs floraux et végétaux, en trois dimensions, très travaillée, essentiellement en Inde. Elle orne cette robe de mariage, qui fait partie d’un ensemble de trois pièces – constitué aussi d’une veste et d’une traîne. Celui-ci est porté pour des mariages par des princesses, principalement musulmanes. Ces costumes, extrêmement onéreux, ne sont plus portés aujourd’hui que par quelques actrices de Bollywood, qui ont pu acquérir quelques pièces.

En Chine, l’empire sur scène

Au début du XXe siècle, l’or est réservé à la famille de l’empereur et aux lettrés de haut rang. Le dragon à cinq griffes – que l’on distingue en bas de ce vêtement – est le signe d’une appartenance à la famille impériale. À ceci près qu’il s’agit ici d’un costume de théâtre, celui d’une armure de guerrière impériale, en satin de soie bleue. Si les costumes de théâtre sont d’une qualité légèrement inférieure aux habits de cour, les décors de celui-ci, avec leurs pampilles, leurs petits miroirs, leurs broderies de monstres aquatiques en relief, s’avèrent d’une grande finesse.

Au Japon, les saisons dans un manteau

Des broderies au fil d’or, des effets de relief, des impressions, un fond tissé avec un effet damassé ton sur ton... Les uchikake, amples manteaux qui donnent une grande prestance lorsqu’on marche, sans ceinture contrairement aux kimonos, permettent aux motifs de se déployer, laissant libre cours aux extravagances visuelles et aux jeux d’échelle. Ce manteau, où sont figurées de façon symbolique les quatre saisons accompagnées de nuages stylisés, semble presque contemporain.

À voir
« Au fil de l’or. L’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant »,
Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, 37, quai Branly, Paris-7e, jusqu’au 6 juillet, www.quaibranly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : Tisser la lumière

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