Theo Van Gogh, marchand et frère de...

L'ŒIL

Le 1 octobre 1999 - 552 mots

Troisième exposition Van Gogh en 12 mois, celle proposée par le Musée d’Orsay place cette fois-ci en haut de l’affiche le prénom de Theo et donne, peut-être, le coup d’envoi d’une autre série de manifestations consacrée non plus à Van Gogh, non plus aux peintres mais à leurs marchands. Figure majeure de l’art depuis la seconde moitié du XIXe siècle, le marchand n’est-il pas aussi créatif que l’artiste qu’il défend ? C’est précisément ce qu’affirme Vincent Van Gogh à Theo : « Je voudrais en arriver à te faire bien sentir cette vérité qu’en donnant l’argent aux artistes tu fais toi-même œuvre d’artiste. » De fait, dans le cas de Van Gogh, on peut affirmer que sans Theo, l’artiste Vincent n’aurait pas existé. Les sorts de Vincent et de Theo, morts à quelques mois d’intervalle, sont en effet inextricablement liés dans une fraternité fusionnelle et excessive. Pourtant ce tandem n’est pas seulement affaire de sang. Il reproduit le duo de l’économie artistique de la fin du XIXe siècle : celui du peintre et de son marchand. Vincent étant l’un des « poulains » d’une écurie d’artistes d’avant-garde que le marchand Theo cherche à imposer. C’est en janvier 1873 que Theo Van Gogh entre chez Goupil et Cie à Bruxelles, à la suite de Vincent qui avait été engagé dans cette même galerie en 1869. En 1880, Vincent décide de devenir peintre. Un marché plus ou moins tacite lie dès lors les deux frères. Theo finance l’apprentissage artistique de Vincent puis son travail de peintre et devient en retour son « marchand » exclusif. Ce marché est sous-tendu par la solidarité familiale et par la foi aveugle de Theo dans le talent de Vincent. « Je me suis souvent demandé si je ne faisais pas une erreur en l’aidant sans cesse... après tout, je crois que je dois continuer. Il est certain que c’est un artiste et quoique ce qu’il fasse maintenant ne soit pas très beau, cela pourra lui servir plus tard, et alors peut-être on l’appréciera » écrit Theo à sa sœur. Responsable à partir de 1881 de la succursale du boulevard Montmartre, Theo tente de mettre en avant ses goûts picturaux qui ont évolué. Dès 1883, il commence à s’intéresser aux impressionnistes, et avec l’arrivée de Vincent à Paris en 1886, il surenchérit dans ses positions en faveur de l’avant-garde. Il expose et achète pour le compte de la galerie quelques œuvres de Monet, Degas, Pissarro, et de façon plus risquée conclut un marché avec Gauguin. Si les frères parlent alors de « leur » galerie, de « leur » collection et rêvent ensemble de changer le marché de l’art afin de « sauvegarder l’existence matérielle des peintres », Theo est loin d’incarner un pendant stable et raisonnable de Vincent. Il possède ses propres failles, ses propres doutes (il trouve Seurat et Gauguin plus bizarres que beaux). Ses propres goûts aussi (il défend Redon que Vincent n’apprécie pas). L’allégeance de Theo aux responsables de la maison Goupil pèse de façon écrasante sur ses désirs ainsi que sur ses relations avec les peintres qui comprennent difficilement ce jeune employé atone. Il a rêvé d’indépendance mais s’est effondré face à sa propre audace et à la mort de Vincent.

PARIS, Musée d’Orsay, jusqu’au 9 janvier, cat. éd. RMN, 232 p., 290 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°510 du 1 octobre 1999, avec le titre suivant : Theo Van Gogh, marchand et frère de...

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