Le Kunstmuseum de Bâle dédie une remarquable exposition aux paysages de Max Beckmann. Retour sur une œuvre moderne, passionnelle et singulière.
BÂLE - Peintre inclassable, Max Beckmann (1884-1950) n’aura fait partie d’aucune des avant-gardes du début du XXe siècle, tout en s’inspirant de l’impressionnisme, de l’expressionnisme et de l’art abstrait. Beckmann a longtemps été considéré comme un peintre typiquement allemand, alors même que l’Allemagne nazie l’avait classé dans la catégorie de l’« art dégénéré », le forçant à l’exil. Pourtant sa peinture transcende les nationalités comme les courants.
À Bâle, le Kunstmuseum lui dédie une importante exposition. Importante pour deux raisons : d’abord parce qu’elle prend le parti de s’intéresser exclusivement à ses tableaux de paysages, une part de son œuvre somme toute mal connue. Ensuite parce que le corpus réuni est d’une qualité remarquable, fruit de prêts d’institutions et de collections particulières allemandes et suisses pour la plupart.
Plus proche du Douanier Rousseau que de Corot
Le parcours chronologique présente la carrière et la vie de Beckmann, entre villes et lieux de villégiatures, de la mer du Nord à la côte méditerranéenne. Ses premiers paysages sont marqués par un besoin de classicisme, des huiles sur papier pris sur le vif. Mais très vite, ses points de vue, ses perspectives s’affirment, sa touche se fait plus sûre, sa palette s’étend. Après la Première Guerre mondiale, il se remet d’une dépression nerveuse à Francfort-sur-le-Main. Là, sa peinture a changé de manière radicale, plus proche du Douanier Rousseau que de Camille Corot. Il aplanit les perspectives, colore intensément l’espace pictural. Dans Das Nizza in Frankfurt am Main (1921), il mêle une multitude de détails à des représentations topographiquement fidèles : personnages, bâtiments et verdure fourmillent de vie.
De ses voyages en Italie en 1924 et 1925, Beckmann tire Der Hafen von Genua (Le port de Gênes) (1928) : entre nature morte et paysage, le tableau comporte une vision intimiste de l’artiste avec ses objets personnels placés au premier plan, et une vue classique de ville portuaire. Ce balancement se perçoit dans les autres tableaux du peintre, qui se font plus sombres et tourmentés au fur et à mesure de la marche de l’Histoire et de la montée du national-socialisme en Allemagne. Fasciné par le motif de la tempête, il peint, en 1932, un paysage monumental, sombre et dense. Un homme est écrasé par un arbre abattu, et l’échelle qui occupe toute la partie gauche de la toile lui est inaccessible, sorte d’impossible épisode de l’échelle de Jacob. Chez Beckmann, le mystérieux côtoie souvent l’allégorique. Alors qu’il trouve refuge à Amsterdam en 1937, la peinture devient pour lui un mode de survie et d’expression. Grand voyageur, il souffre de l’enfermement aux Pays-Bas, mais se lance dans une production forcenée de paysages de polders, étudie la lumière et les variations atmosphériques. Dans Schiphol (1945), du nom de l’aéroport d’Amsterdam, l’Histoire entre avec fracas dans ce paysage de dévastation après un bombardement. Chez Beckmann, le paysage se fait dramatique, abrupt et vital, à l’image des épreuves qu’il aura endurées.
Cette saison, Max Beckmann est l’objet de deux autres expositions en Allemagne, signe que son œuvre, encore mal connue en France, passionne et suscite l’enthousiasme de nos voisins germaniques. À Leipzig, « Max Beckmann. Face-à-face » propose un parcours autour de ses portraits. Amis, famille ou simples clients, ses œuvres témoignent d’un regard acéré et d’une vision du monde entre allégorie et réalisme.
À Francfort-sur-le-Main, « Beckmann & Amerika » s’intéresse aux trois dernières années de la vie du peintre dans son exil américain. Avec l’exposition bâloise, voilà trois manières de voir ou revoir l’œuvre d’un artiste singulier et terriblement moderne.
« Max Beckmann. Face-à-face », jusqu’au 22 janvier 2012, Musée des beaux-arts, Katharinenstraße 10, Leipzig, Allemagne, www.mdbk.de, tlj sauf lundi 10h-18h, mercredi 12h-20h
« Beckmann & Amerika », jusqu’au 8 janvier 2012, Städel Museum, Holbeinstraße 1, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, www.staedelmuseum.de, tlj sauf lundi 10h-18h, mercredi et jeudi jusqu’à 21h.
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Terribles paysages
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Bernhard Mendes Bürgi et Nina Peter
Nombre d’œuvres : 70
Jusqu’au 22 janvier 2012, Kunstmuseum, St. Alban-Graben 16, Bâle, Suisse, tél. 41 (0)61 206 62 62, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h.
Catalogue (en anglais), éd. Hatje Cantz, Ostfildern, 236 p., 135 ill., 75 $, ISBN 978-3-7757-3147-8
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Terribles paysages