Plusieurs formes de transmission de la pensée ont été explorées dans la création artistique du XXe siècle. L’exposition « Cosa mentale » en déroule le fil au Centre Pompidou-Metz.
METZ - Il a fière allure Salvador Dalí, sur cette photographie de Philippe Halsman le montrant assis dans son lit, crayon à la main et visage caché, sa tête pourvue d’un projecteur allumé censé assurer la transmission de ses pensées (1941). S’agit-il là de la mise en scène d’une embardée loufoque, d’un goût de la marge et de la dérision chez un artiste connu pour son appétence à la provocation ? La réponse n’est pas si simple, au vu de l’ampleur du « phénomène » ausculté par le Centre Pompidou-Metz.
Imaginée par Pascal Rousseau, professeur d’histoire de l’art à l’université de Paris-I, l’exposition « Cosa mentale » explore en effet les liens entre l’art et la télépathie, ou plus précisément la manière dont la transmission des pensées a pu jouer un rôle important dans la création artistique du XXe siècle, au-delà de la blague potache.
La fin du parcours démontre que des préoccupations apparues dès les prémices de l’âge moderne trouvent encore un écho dans les pratiques conceptuelles où la dématérialisation de l’art apparaît parfois comme l’aboutissement de ces réflexions. Une très belle salle réunit en effet quelques figures marquantes aux esthétiques diverses. Ainsi, Marina Abramovic et Ulay se regardent fixement au cours d’une performance sans échanger un mot (That Self – Point of Contact, 1980) ; Sigmar Polke engage une conversation télépathique avec William Blake grâce à deux tableaux reliés par des cordelettes (Telepathische Sitzung II (William Blake), 1968) ; Robert Morris dresse de lui-même un autoportrait sous la forme d’un électroencéphalogramme (Self-Portrait (EEG), 1963). Robert Barry formule quant à lui clairement dans ses sentences reproduites au mur que la transmission télépathique est à l’œuvre dans la communication de ses états d’esprit (A Secret Desire Transmitted Telepathically…, 1969-2015).
Riche et dense, l’exposition déroule un fil chronologique qui cherche à relire l’histoire de la modernité à l’aune du psychique et de l’impact des états émotionnels dans le champ de la représentation.
Une pensée irradiante
Dès les toutes premières années du XXe siècle, des photographies très atmosphériques du Penseur de Rodin par Jean Limet ou Stephen Haweis et Henry Coles indiquent une volonté d’étendre la représentation du sujet au-delà de sa corporalité, de transgresser le champ du visible en tentant de figurer l’irradiation de la pensée. En 1896, c’est Louis Darget, qui, convaincu que la pensée est en elle-même de l’énergie, posait une plaque photographique sur son front, laissant apparaître la trace d’une bouteille (La Première Bouteille. Photographie de la pensée) ; un acte qui eut une influence considérable dans la conviction communément partagée que des modes de communication et de matérialisation de la pensée existaient bel et bien.
C’est dans le champ de l’abstraction que de telles conceptions trouvèrent un terreau fertile, avec la croyance chez certains artistes qu’est ainsi permise la « figuration » des concepts, émotions et autres états d’âme. N’est guère surprenante la présence ici de Frantisek Kupka ou de Vassily Kandinsky, qui, développant un intérêt pour la théosophie ou les expériences de transmission – et en particulier pour le transfert d’images mentales expérimenté par le professeur Charcot –, se sont aventurés sur un tel terrain. Plus tard, les surréalistes se saisissent de la question, en s’intéressant à une possible collectivisation de la pensée, ce qui donne lieu à quelques portraits de groupe où plusieurs protagonistes du mouvement posent en étoile.
L’intérêt pour les phénomènes de transmission et de visualisation ne se tarit pas avec la vague psychédélique et infuse également la musique et l’architecture, comme le montre le projet un peu loufoque dénommé Mind Expander (1967) par les Autrichiens Haus-Rucker-Co, soit une sorte de cerveau global et pénétrable qui pourrait être celui d’une humanité nouvelle.
Commissaire : Pascal Rousseau, professeur d’histoire de l’art (Paris-I, Panthéon-Sorbonne)
Nombre d’artistes : 190
Nombre d’œuvres : 60
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Télépathie - Pensez maintenant
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 28 mars, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz, tél. 03 87 15 39 39, centre-pompidou-metz.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 12 €. Catalogue, coéd. Gallimard/Centre Pompidou-Metz, 318 p., 49 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Télépathie - Pensez maintenant