Taysir Batniji ou l’art en exil

Paris. Chez moi, ailleurs [voir ill.], le titre d’une œuvre bouleversante de Taysir Batniji, commencée en 2000 et en cours, résume le propos de cet artiste franco-palestinien qui vit et travaille entre son pays et la France. Sur l’écran défilent les photographies des différentes habitations – pas vraiment des palais – que celui-ci a occupées au gré de ses pérégrinations. Une de ces vues, un paysage idyllique au bord d’un lac, tranche avec les autres. Intrigué, le spectateur se rend compte que ce lieu de rêve n’est en réalité qu’un lieu commun, un puzzle suisse auquel manquent plusieurs pièces. Quand l’ailleurs est synonyme de l’exil, il reste toujours incomplet. De fait, dessins et photos, installation et vidéos ou encore frottages et collages tracent ici les contours d’une absence. Subtilement, car aucun pathos ne filtre dans cette œuvre d’une qualité esthétique irréfutable et dépouillée de tout manichéisme.

N’oubliant jamais l’importance de l’invention plastique, l’artiste donne corps à ses souvenirs, suggère plus qu’il ne montre. Ainsi, « Disruptions » (2015-2017) est une série de captures d’écran floues – le réseau étant brouillé par l’occupation –, des images frustrantes qui correspondent à des conversations WhatsApp entre Taysir et sa mère résidant à Gaza. Une autre série, « Pas perdus « (2019-2020), est une sélection de dessins-frottis réalisés à partir de traces de chaussures sur la chaussée. N’importe quelle chaussée car ces travaux qui parlent de destins individuels incertains, de l’errance, touchent à l’universel. Pour autant, le trousseau de clés en verre de Murano présenté sur un socle est lié à l’histoire du peuple palestinien. Ces clés évoquent, avec une ironie douloureuse, celles que les réfugiés palestiniens emportèrent au moment de leur exode en 1948 en attente de leur retour. Mais, peut-être, comme le notait Saul Bellow, l’histoire d’une vie n’est rien d’autre qu’un exil.