L’exposition raconte un moment très particulier de la vie intellectuelle et artistique strasbourgeoise. Un propos ambitieux qui méritait une médiation plus généreuse.
Strasbourg. C’est dans une passionnante aventure que se sont engagés Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des musées de la ville, et l’historien Roland Recht, professeur honoraire au Collège de France, professeur à l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg. Alors que la Neustadt, le quartier construit par les Allemands après l’annexion de la ville au Reich, vient d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, les deux commissaires racontent ce que fut la vie intellectuelle et artistique de Strasbourg pendant cette période allemande, puis au moment du retour à la France. En quatre expositions, sans compter les accrochages, ce sont, résume Joëlle Pijaudier-Cabot, « à peu près 2 000 objets d’art, photographies, dessins, peintures, sculptures, spécimens, objets scientifiques venant des collections strasbourgeoises ou empruntés » qui sont présentés au public. La manifestation, labellisée d’intérêt national par le ministère de la Culture, mobilise l’ensemble des musées de la ville, les archives, l’université et la bibliothèque universitaire, la Haute École des arts du Rhin (HEAR) et se décline principalement au Musée d’art moderne et contemporain (MAMCS), au Musée zoologique et au palais Rohan (Musée des beaux-arts et galerie Heitz).
« Nous avons conçu deux livres qui accompagnent l’exposition pour la rendre tout à fait explicite et développer beaucoup d’aspects qu’elle montre », raconte Roland Recht. Ce n’est pas tout à fait exact. Ces deux livres, l’un faisant office de catalogue, et l’autre étant le Dictionnaire culturel de Strasbourg, 1880-1930, sont en réalité le cœur du projet et l’exposition en constitue l’illustration. C’est sa limite et ce qui la rend un peu difficile d’accès pour le public. Le catalogue commence par une présentation générale, politique et culturelle de la ville. Au MAMCS, rien de tout cela. Un texte explicatif accueille, au rez-de-chaussée, le visiteur qui a tendance à se jeter dans l’escalator sans trop s’y attarder. Or, à part une chronologie, il n’aura plus aucune vision d’ensemble ensuite, puisqu’il entre directement dans la section « Un art de vivre : les arts décoratifs, l’illustration », consacrée aux années 1900. Un autre espace est dévolu aux collections de l’université, suivi d’une section présentant les orientations muséales et le marché de l’art de la période. Enfin, le plateau de la « Modernité plurielle » se partage entre l’aménagement du bâtiment de l’Aubette par Sophie Taeuber-Arp, l’avant-garde littéraire, le cinéma et les Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre. Et il serait dommage de rater, au rez-de-chaussée, l’accrochage de la scène artistique locale.
Pour définir l’exposition, Joëlle Pijaudier-Cabot déclare : « Il s’agit de dérouler sous les yeux du spectateur un récit où il puisse évoluer à sa guise et avoir accès à cette dimension de l’art et de la connaissance qui font le substrat de l’exposition, mais aussi être invité à s’immerger dans le Strasbourg des années 1880 à 1930. Les expositions d’histoire sont l’une des choses les plus difficiles à réaliser : il y a souvent beaucoup de texte, d’accompagnement documentaire de toute sorte. Nous avons essayé d’imaginer celle-ci d’un type tout à fait différent où le visiteur rencontre des personnalités qui ont animé cette période. » Les textes de salles sont peu nombreux, mais des documents sont mis à disposition du public qui peut prendre le temps de les lire sur place, car la scénographe, Adeline Rispal, a aménagé des bancs confortables à cet effet. Cependant, présenter cinquante ans de la vie culturelle d’une telle ville sur 3 000 m2 est une gageure. Le choix d’une scénographie se passant quasiment du texte rend la contemplation délectable, mais la compréhension hasardeuse. Combien de visiteurs s’aperçoivent que la partie consacrée à l’exposition de 1907 n’est qu’une évocation, puisque les œuvres présentées ne sont pas forcément celles qu’ont vues les Strasbourgeois au début du XXe siècle ?
Au palais Rohan, le thème est « Wilhelm Bode, une pensée en action », la constitution ab nihilo des collections du musée. Les salles sont dispersées dans le parcours du Musée des beaux-arts. Le public ne sait qu’il est dans un espace de « Laboratoire d’Europe » que parce qu’il y trouve les textes mis à sa disposition et, s’il est déjà féru d’histoire de l’art, en raison de la scénographie rappelant l’accrochage en usage entre 1880 et 1930. Se rend-il compte que nombre des œuvres qui lui sont présentées sont les copies commandées par Bode et non des originaux ? Il n’y a finalement que la petite exposition consacrée à la musique, dans la galerie Heitz, qui soit directement accessible sans faire appel à une trop importante culture générale préalable.
Trop ambitieux, ce « Laboratoire d’Europe » ? Certainement pas. Mais le visiteur ne pourra se passer de l’audioguide (disponible sur smartphone) et d’avoir lu le catalogue en amont, pour que chaque section prenne harmonieusement sa place dans un récit articulé du destin intellectuel et artistique d’une ville qui a su, à travers les vicissitudes de l’histoire, garder son indépendance d’esprit et faire du multiculturalisme son identité.
« Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930, »
jusqu’au 25 février. MAMCS, 1 Place Hans-Jean-Arp ; Palais Rohan, 2 place du Château ; Musée Zoologique, 29 boulevard de la Victoire, 67000 Strasbourg.
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Strasbourg, entre France et Allemagne
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Abonnez-vous dès 1 €L'exposition « Laboratoire d’Europe », au Musée des beaux-arts, reprend l'accrochage en vigueur entre 1890 et 1930 © Photo : M. Bertola
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Strasbourg, entre France et Allemagne