TOULOUSE
La collection surréaliste rassemblée par la mécène Anne Gruner Schlumberger est une invitation à la rêverie poétique.
Toulouse. Sous un titre séduisant quoique vague « De l’autre côté du rêve », la Fondation Bemberg, à Toulouse, met en avant la collection d’une autre fondation, celle des Treilles dans le Var, rarement dévoilée au public. À la différence d’un musée, où les conservateurs accordent de l’importance à l’histoire de l’art, ici sont présentés les coups de cœur d’Anne Gruner Schlumberger (1905-1993), collectionneuse philanthrope. Appartenant à une célèbre famille d’industriels, elle semble attirée avant tout par des œuvres que l’on peut qualifier de poétiques. Ainsi, même si ses choix sont éclectiques et nombreux – plus de trois mille pièces qui vont de l’Antiquité jusqu’à l’art moderne –, à Toulouse, ce sont les travaux surréalistes qui tiennent le haut du pavé.
Le parcours, sans prétentions didactiques, mais bien agencé, propose des ensembles plus ou moins importants de différents artistes qui ont appartenu à ce mouvement. Cette préférence fait que les travaux exposés ici, en dehors de quelques exceptions, sont figuratifs. Parmi les œuvres qui s’approchent le plus de l’abstraction, de magnifiques toiles de Joseph Sima, l’un des fondateurs du Grand Jeu, ce groupe et cette revue surréaliste, indépendants d’André Breton. De taille inhabituellement monumentale, Terre le long du fil (1962) est un paysage situé dans un ailleurs inconnu. Ce sentiment de flottement, d’un espace indéterminé, voire cosmique, est partagé par un autre créateur, le Chilien Roberto Matta, un temps passé par le surréalisme (La Mer virile, 1957). On a le droit d’être moins enthousiaste par le bestiaire de François-Xavier Lalanne, qui semble perdu dans la même salle.
L’ensemble le plus important de l’exposition, celui de Victor Brauner, est remarquable. Des personnages hybrides issus d’une mythologie personnelle, d’étranges totems déguisés en êtres humains paradent sur les cimaises (Là-bas III, 1949). La qualité de ces toiles est la preuve que l’amitié, à la différence de l’amour, ne rend pas aveugle. De fait, inconditionnelle de l’homme et de son œuvre, Anne Gruner Schlumberger lui a acheté au total seize œuvres.
Ailleurs, c’est un autre pilier du surréalisme, Max Ernst, qui fait la démonstration d’une variété des techniques qu’il manipule – peinture à l’huile, Paysage au germe de blé, 1935 ; mine de plomb et frottage, Jardin mystérieux, 1925 ; ou sculpture, Oiseau-tête, 1934. Ce champion du collage métamorphose la réalité en un univers énigmatique.
Citons encore dans le désordre quelques belles surprises. Un nu debout dessiné par Alberto Giacometti, de beaux papiers collés d’Henri Laurens, plusieurs œuvres de Fernand Léger dont le puissant Contrastes (1959) ou, plus inattendu, des sculptures vibrantes de Takis. Si les pièces de Pablo Picasso laissent malheureusement le spectateur sur sa faim, il peut terminer sa promenade avec Topographie, terre aux épices de Jean Dubuffet (1958). Comme toujours avec le père de « L’Hourloupe », une plongée dans la matière n’empêche pas le rêve.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Songe d’été surréaliste à la Fondation Bemberg