L’artiste canadien Michael Snow, âgé de 69 ans, a toujours alterné les supports. La série des Walking Woman (1961-1967) est de ce point de vue exemplaire. Renommé pour son cinéma expérimental, il bénéficie actuellement de deux expositions en France. Il s’exprime sur son art multiforme.
Vous avez toujours travaillé dans plusieurs domaines : la musique, le cinéma, la peinture, la photo... Pourquoi ?
J’ai commencé à jouer de la musique en 1948-1949, mais je n’ai réalisé mon premier film qu’en 1956. J’avais également déjà exposé des tableaux. Vers 1960, j’ai pensé qu’il fallait que j’arrête de me disperser pour être uniquement peintre, ou musicien. Quand je suis parti pour New York, en 1962, j’ai arrêté de jouer de la musique pour me concentrer sur la peinture. Mais après un an, j’ai rencontré des musiciens, puis nous avons joué ensemble. Je serais peut-être un meilleur cinéaste si je ne faisais que du cinéma. Mais c’est comme ça. J’aime continuer à faire des recherches dans chaque domaine.
Cependant, il existe peu de relations entre vos différents travaux.
Je suis un puriste, et il est très important pour moi de toujours tirer le meilleur de mes supports. Si j’utilise des diapos, comme dans l’exposition à la Ferme du Buisson, j’essaie de trouver dans ce médium, dans sa matière et son mécanisme, une expérience qui lui est propre. Il ne s’agit pas d’essayer de faire du cinéma qui soit de la musique. Quand je fais du cinéma, c’est du cinéma. Même si je travaille avec plusieurs médiums, je ne suis pas vraiment un artiste “multimédia”. C’est vrai que dans Redifice, il y a plusieurs types d’images mais, à mon avis, rien n’est mélangé.
Dans l’exposition de la Ferme du Buisson, certaines pièces semblent piéger le spectateur.
Oui, j’ai envie de faire réfléchir le spectateur. Il faut qu’il fasse des choix et des découvertes. Longtemps, j’ai également réalisé des œuvres dans lesquelles le visiteur était lui-même intégré. Pour moi, il est intéressant de pouvoir reconstruire le processus de création de l’œuvre. Des questions sont suscitées, comme l’espoir de continuer à regarder, à penser, à ressentir, à réfléchir. Une œuvre d’art doit avoir un effet immédiat. Dans l’exposition, il y a une boîte lumineuse intitulée Livraison immédiate. Mais ce n’est pas suffisant. Les gens sont habitués par la télévision à la rapidité des messages. À mon avis, l’art doit garder cette richesse : quand le spectateur retourne voir l’œuvre, il faut qu’à chaque fois, il puisse y voir autre chose. Idéalement, elle n’est jamais épuisée.
Dans le texte qui accompagne Redifice, vous terminez en faisant référence à Duchamp.
Oui, mais c’est surtout contre lui. Si nous prenons la direction du ready-made, nous sortons à mon avis de la sphère de l’art. Duchamp est à l’origine d’une belle provocation philosophique. Mais, finalement, je préfère la ligne indiquée par son maître, Picasso, qui est de former, de mouler, de faire des objets, et non d’en choisir. Ainsi, je travaille toujours avec de la matière, même si parfois elle est infime. Si la pensée de Duchamp est importante, j’ai pourtant fait avec la série des Walking Woman (la Femme qui marche) exactement son contraire. J’ai créé une forme que j’ai mise au monde. Dans l’exposition, je montre une nouvelle œuvre de 1996 de cette série. J’ai longtemps hésité, mais je crois qu’il est important aujourd’hui de la continuer. La femme qui marche marche encore ! Je travaille actuellement sur un livre, une “biographie” de la Femme qui marche, qui sera publié à Paris par les éditions Aldines.
MICHAEL SNOW, TRANSPARENTÉ, jusqu’au 26 avril, La Ferme du Buisson, Noisiel, Marne-la-Vallée, tél. 01 64 62 77 41, tlj sauf lun 14h-18h ; REDIFICE, jusqu’au 29 mai, Centre culturel canadien, 5 rue de Constantine, 75007 Paris, tél. 01 44 43 21 90, lun-vend. 10h-18h.
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Snow, l’anti-Duchamp
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Snow, l’anti-Duchamp