Shigeru Ban : la richesse des matériaux pauvres

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 1011 mots

Désigné meilleur jeune architecte au Japon en 1997, et consultant, depuis 1995, du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), Shigeru Ban invente une architecture originale
à partir de matériaux réputés banals, tels le contreplaqué ou le tube de carton. La Galerie d’architecture, à Paris, montre ses derniers projets, entre recyclage et haute technologie.

PARIS - C’est la première grande exposition, en France, consacrée à l’architecte japonais Shigeru Ban, âgé de quarante-quatre ans. On avait bien remarqué, en 1999, dans le jardin de l’Institut français d’architecture, à Paris, une petite maison réalisée en tubes de carton recyclé, la Paper Log House, cet abri temporaire conçu pour les sinistrés du tremblement de terre de Kobe (Japon). Or, l’homme a définitivement assuré sa réputation en Europe, au cours de l’année 2000, avec une construction d’envergure : le pavillon du Japon pour l’Exposition universelle de Hanovre (Allemagne). Tous les yeux s’étaient alors tournés vers celui qui avait fait du tube de carton un véritable matériau de construction. À travers une sélection de dessins, de photographies et de maquettes à diverses échelles, la Galerie d’architecture, à Paris, présente aujourd’hui quelques-uns des projets les plus récents de cet architecte original.
Petit “hic” : l’exposition a été produite clés en main par la galerie berlinoise Aedes. Ne figurent donc sur les cartels que deux textes, l’un en allemand et l’autre en anglais, ce qui, pour le public francophone, ne favorise pas une “immersion” facile, alors même que l’on reproche souvent aux expositions d’architecture d’être “hermétiques”. Heureusement, de splendides maquettes, qui parlent d’elles-mêmes, sont là pour pallier ces désagréments d’idiomes, notamment celles de deux projets japonais, ici évoqués sous forme d’étonnants tressages de balsa : le Musée-mémorial Unochiyo, à Iwakuni, immense et élégante toiture à deux pans, et le centre de soins de jour de l’hôpital IMAI, à Odate, petit bijou d’architecture achevé en mai 2001. À l’instar des minces cloisons de papier japonaises, Shigeru Ban utilise ici de fines feuilles de LVL – Laminated Veneer Lumber, une sorte de contreplaqué – pour édifier un bâtiment délicat en forme de tunnel, montrant avec éloquence son habileté à utiliser des matériaux de construction peu courants. Non loin, deux autres maquettes évoquent cette fois un projet français : celui du futur Centre d’interprétation du canal de Bourgogne, à Pouilly-en-Auxois, vaste complexe culturel dédié à l’histoire du canal, dont le chantier vient à peine de débuter. Le hangar à bateaux de 295 m2 sera une voûte composée d’un Meccano de tubes en carton triangulés, et le musée adjacent de 265 m2, une fine structure de verre et de métal.

La charpente est en carton
En tout bien tout honneur s’impose le projet de Hanovre : ce fameux pavillon du Japon qui fut pour Shigeru Ban la première occasion d’édifier un espace monumental avec une “charpente” de carton. Flexibles, les tubes se courbent comme des bambous pour former une vague qui s’élève à plus de 15 mètres de hauteur. Pour réaliser cette structure inédite, l’architecte japonais s’est d’ailleurs attaché les services d’un éminent ingénieur, Otto Frei, auteur de nombreuses installations sportives pour les Olympiades de Munich, en 1972, en particulier du stade olympique. Sur un pan de mur est présentée une myriade de croquis techniques, résultat de moult échanges entre l’agence d’architecture japonaise et le bureau d’études anglais en charge de la structure. Elles vont sans doute régaler les architectes et étudiants en architecture, mais pas le tout public, car les dessins sont trop petits, voire anodins. À ceux qui lui reprochaient l’absence de plans et de maquettes, dans l’exposition actuellement visible au Centre Georges-Pompidou, Jean Nouvel a répliqué : “Comme un musicien, j’ai choisi de montrer ma musique... pas les partitions !”. Peut-être aurait-il fallu ici ne sélectionner que les esquisses les plus représentatives, et surtout, les agrandir pour les rendre compréhensibles de tous. La démonstration d’ailleurs convainc avec les dessins représentant les logements sociaux que Shigeru Ban, associé à l’architecte français Jean de Gastines, va réaliser à Mulhouse (livraison prévue en juin 2003, lire le JdA n° 140, 11 janvier 2002) : les panneaux sont grands et clairs, donc lisibles.
Remis au printemps dernier, le projet récent le plus fascinant est à coup sûr celui d’un Musée temporaire à Tokyo, un concours lancé par la Fondation Guggenheim que Ban a perdu. Le programme ayant changé en cours de route – la durée de vie du musée passant notamment de deux à dix ans –, Shigeru Ban en livrera trois scénarii différents. Première version : il élabore un musée tout en tubes de cartons sur un plan très classique, avec colonnades, salle hypostyle et coupole. Deuxième version : Ban montre ici son vif intérêt pour le recyclage et conçoit un musée transportable. Le bâtiment est à la fois fonctionnel et écologique : des sacs de sable remplacent les fondations de béton et la toile qui recouvre l’édifice peut, le cas échéant, être découpée pour faire des toitures d’abris temporaires. Coincé entre deux murs de containers, l’espace d’exposition est une gigantesque structure en tubes de carton, deux fois plus haute que celle de Hanovre. La façade, elle, est constituée de larges volets roulants. Ouverts, à demi fermés ou totalement clos, ces derniers transforment à eux seuls l’architecture... Un effet “magique” qui amènera Ban à travailler sur une troisième version : “le musée comme théâtre”. Dans cet ultime projet, l’architecte joue avec l’illusion et équipe l’édifice de peaux changeantes : une première, à l’intérieur, sous forme d’un jeu de rideaux en toile amovibles, et une seconde, la façade du musée alors sertie de volets roulants en fibre de verre recouverts d’un film hologramme. Résultat : un bâtiment qui se métamorphose à l’envi, au gré des rideaux tirés ou non, des volets levés ou non, et des images mouvantes générées par la lumière qui effleure le film hologramme. Bref, un bel éloge de l’éphémère.

- SHIGERU BAN – PROJETS RÉCENTS, jusqu’au 28 février, La Galerie d’architecture, 11 rue des Blancs-Manteaux, 75004 Paris, tél. 01 49 96 64 00, tlj sauf lundi, 11h-19h30. Puis, cet l’été, Centre d’architecture Arc-en-Rêve, Bordeaux, tél. 05 56 52 78 36.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Shigeru Ban : la richesse des matériaux pauvres

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