Quatre ans après la rétrospective complète à Vienne de l’œuvre d’Arnold Schönberg, Paris découÂvre l’essentiel des peintures du compositeur autrichien. Portraits, autoportraits et caricatures sont au cœur d’une œuvre originale et atypique, traversée par l’obsession du regard.
PARIS - Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris inaugure avec Arnold Schönberg une série d’expositions consacrées à des artistes "inclassables". Quarante toiles et trente dessins, regroupés sous le titre de "Regards", présentent tous les aspects de la brève production du compositeur viennois, essentiellement réalisée entre 1909 et 1911.
L’exposition est prolongée au théâtre du Châtelet par un programme autour de la musique de Schönberg. Il est d’ailleurs indispensable de situer l’œuvre picturale dans un contexte musical ; considérée de manière autonome, elle n’aurait qu’un intérêt restreint. Bien que contemporaine du Jugendstil et de l’Expressionnisme, son absence de style défini et sa naïveté autodidacte l’excluent de toute filiation.
Outre les ébauches de décors pour ses drames musicaux, brève tentation du Gesamtkunstwerk – l’œuvre d’art totale d’influence wagnérienne –, Schönberg s’est d’abord consacré au portrait et, dans la veine du journal satirique de Karl Kraus, Die Fackel, à la caricature. L’exposition présente une série d’autoportraits évoluant au fil des toiles vers une fixité obsessionnelle du regard. Schönberg se peint de face, le visage grave, le regard exorbité. Sur chaque portrait se lit la même interrogation, tandis que, vaincu par l’angoisse, le visage se dissout au fil des œuvres. Seuls les yeux subsistent, devenus autonomes, comme dans le célèbre Regard rouge.
Schönberg évolue ensuite vers une série de toiles plus abstraites, intitulées Visions, où l’artiste prétend "faire de la musique avec des couleurs et des formes". Ces œuvres lui ont valu l’admiration et l’amitié de Kandinsky, qui lui permit d’exposer avec le Blaue Reiter à Munich en 1911. Mais, en dépit de ce soutien, Schönberg ne fut jamais accepté comme peintre par ses contemporains.
La peinture comme thérapie
Kandinsky qualifiait ces Visions de "peinture de l’essentiel", Schönberg y exprimant "ceux des mouvements de son âme pour lesquels il ne trouve point de forme musicale". En effet, la peinture est intervenue comme thérapie, alors même que Schönberg vivait en 1910 l’angoisse de "l’émancipation de la dissonance". Devenu, au début du siècle, l’un des plus grands théoriciens de la musique tonale, sa créativité le pousse en toute contradiction à une destruction complète de ce fondement séculaire de la musique. La peinture intervient alors comme exutoire à cette angoisse, car abordée avec la seule intuition, sans aucune interrogation technique. Elle est vécue comme l’abolition de toute règle héritée, ce qu’à l’époque, Schönberg s’interdit encore en matière musicale.
Lorsque cette crise se résout enfin par l’affirmation du langage dodécaphonique, Schönberg abandonne presque complètement la peinture. Elle subsiste comme un épisode bref et révélateur dans la vie d’un artiste essentiellement musicien.
Un conflit oppose les héritiers du compositeur à l’université de Californie du Sud (USC) qui abrite l’Institut Arnold-Schönberg. Invoquant des difficultés financières, l’université affirme ne plus pouvoir conserver les archives – quelque 30 000 pièces, soit la plus vaste documentation sur un compositeur du XXe siècle – qui lui ont été remises. Les héritiers ont porté l’affaire devant la justice, qui, pour l’heure, a ordonné à l’USC de maintenir la collection dans son intégrité.
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Schönberg, l’œil du compositeur
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Abonnez-vous dès 1 €Arnold Schönberg, regards, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 3 décembre, du mardi au vendredi, de 10h à 17h30, samedi et dimanche de 10h à 19h. L’exposition sera présentée, de janvier à mars 1996, à la Städtische Galerie im Lehnbachhaus de Munich, et d’avril à mai 1996, au Musée Munch d’Oslo.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Schönberg, l’œil du compositeur