Art contemporain

Sally Gabori, un art aborigène pas comme les autres

Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris 14e – - Jusqu’au 6 novembre 2022

Par Anne-Charlotte Michaut · L'ŒIL

Le 27 septembre 2022 - 497 mots

PARIS

Coup de cœur : La Fondation Cartier présente la première exposition personnelle hors de l’Australie de Sally Gabori, une artiste aborigène hors du commun.

Alors âgée d’environ 80 ans et pensionnaire d’un foyer pour personnes âgées, Sally Gabori participe à un atelier de peinture sur les conseils de son ergothérapeute. C’est le début d’une carrière fulgurante qui durera dix ans, jusqu’à la mort de l’artiste en 2005. Née vers 1924 sur l’île Bentinck, au cœur d’un petit archipel situé dans le golfe de Carpentarie, dans le nord-est de l’Australie, elle grandit selon les traditions de son peuple, les Kaiadilt. Son nom traditionnel, Mirdidingkingathi Juwarnda, se forme à partir de son lieu de naissance (la crique de Mirdidingki) et de son ancêtre totémique (juwarnda, le dauphin). En 1948, un cyclone provoque l’exil forcé des soixante-trois derniers résidents kaiadilt vers l’île Mornington, plus au nord. La mission presbytérienne dans laquelle ils sont contraints de vivre leur interdit de parler leur langue, le kayardilt, et les force à abandonner leur culture et leurs traditions. Ce déracinement profond marquera durablement Sally Gabori, qui ne pourra pas retourner sur l’île Bentinck avant les années 1990, lorsque les Kaiadilt seront enfin reconnus propriétaires de leurs terres ancestrales. Ces éléments biographiques donnent des clés pour lire les peintures de l’artiste, qui sont, selon Juliette Lecorne, commissaire de l’exposition, « une cartographie, une célébration des paysages de son île tout autant que des références liées à sa famille ». L’exposition rassemble une trentaine de peintures monumentales, dont les titres reprennent des lieux ou éléments géographiques de l’île. D’apparence abstraite, ces toiles rythmées par de grands aplats colorés aux contours irréguliers sont des traductions personnelles, intimes, de sa terre natale et de sa communauté. Évoquant davantage l’expressionnisme abstrait américain que l’art aborigène traditionnel, ces œuvres sont extrêmement troublantes et bouleversent nos représentations. L’effet est particulièrement saisissant dans la grande salle du sous-sol de la Fondation Cartier, qui présente des toiles d’une rare intensité chromatique, toutes associées à Dibirdibi, renvoyant à la fois au mythe fondateur de l’île Bentinck et au mari de Sally Gabori. La salle présentant des œuvres collaboratives réalisées avec d’autres femmes artistes kaiadilt, dont certaines de sa famille, donne à voir la singularité de son style, qui se mêle ici à des motifs et symboles aborigènes plus classiques. Les mots de Judith Ryan, conservatrice spécialisée en art aborigène, résument parfaitement la force de l’œuvre de Sally Gabori et l’effet qu’il provoque sur les visiteurs de l’exposition : « Le puissant lyrisme de ses peintures prend le spectateur par surprise, l’obligeant à abandonner ses idées préconçues sur l’art produit par les peuples premiers d’Australie. Plutôt que de chercher partout des éléments documentaires, des histoires ancestrales, des motifs précis ou des marqueurs de l’essentialisme ethnographique, le spectateur ne peut que s’émerveiller de l’audace avec laquelle l’artiste s’attaque à la toile. » Pour compléter l’exposition, un important ensemble d’archives sur l’histoire de Sally Gabori, fruit d’un travail de recherche au long cours, est rassemblé dans un remarquable site Internet dédié.

« Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori »,
Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, boulevard Raspail, Paris-14e, www.fondationcartier.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Sally Gabori, un art aborigène pas comme les autres

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