« Il faut lutter pour la vision. Je veux changer le regard.
Je voudrais bien que pour la première fois tout votre regard soit concentré sur une cicatrice », confiait avec conviction le sculpteur Rui Chafes (né à Lisbonne en 1966) lors de la présentation de son exposition parisienne. Pari réussi ! Jamais on n’avait eu la possibilité de porter un tel regard sur les sculptures de Giacometti ! Dès le seuil de l’exposition, le visiteur est invité à pénétrer dans une sculpture de l’artiste portugais, Au-delà des yeux, un obscur couloir réalisé avec des plaques de fer peintes en noir mat, créé spécifiquement pour cette exposition, comme six des sept œuvres présentées par l’artiste. Au fond du sombre couloir surgissent quelques orifices lumineux. En collant les yeux à ces orifices, on découvre, vivement éclairées, de toutes petites sculptures de Giacometti. Tête d’homme, un plâtre peint (autour de 1950), ou Figurine de la cage (première version de 1950), en bronze, apparaissent ici comme des empreintes d’humanité quelque peu irréelles. On peut bien sûr regretter de ne pouvoir regarder ces sculptures dans leurs trois dimensions en tournant autour. Mais Rui Chafes parvient à nous faire partager son regard sur quelques œuvres de Giacometti, en résonance avec ses réflexions sur cet artiste capital à ses yeux : « L’espace (de Giacometti) constitue la matière de sa sculpture : plus que des enveloppes vides, ses figures sont des espaces ou des impossibilités d’occuper l’espace. Ici se présente un témoin de l’homme dépourvu de qualités individuelles, l’homme devenu lieu, endroit, espace », écrivait-il en 1998.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : Rui Chafes, la possibilité d’un regard sur Giacometti