À Bruxelles, Bozar observe comment contemporains et successeurs citent le peintre baroque.
Bruxelles - À la fois chef d’un immense atelier et dévoué défenseur de la Contre-Réforme, Rubens, qui jouait par ailleurs volontiers les diplomates, fut par définition un homme d’influence. Celle de son œuvre dépasse quant à elle amplement les bornes chronologiques de son époque et l’exposition proposée à Bruxelles par Bozar en fait la démonstration. « Nous ne voulions pas faire une exposition sur la personnalité de Rubens mais plutôt sur son héritage, qui est énorme. Le titre résume assez bien les deux principaux aspects de son travail. Il est “sensationnel”, car il ne laisse personne indifférent, et “sensuel”, surtout par ses nus », explique le commissaire Nico Van Hout.
Découpé en six sections afin d’évoquer l’ensemble du répertoire rubénien (« Violence », « Pouvoir », « Luxure », « Compassion », « Élégance » et « Poésie »), le parcours propose donc des confrontations entre les œuvres du maître et celles de ses divers héritiers. Pour nombre d’entre eux, qu’ils soient contemporains du peintre ou qu’ils lui soient postérieurs, cette influence passe par un travail de copie, par la reprise d’un motif, d’une composition ou d’un coloris. Pour le plus grand plaisir des yeux, le visiteur cherche ainsi les liens entre les différentes toiles, observant par exemple comment Murillo puise dans une Conversion de saint Paul (tableau disparu, présenté grâce à une gravure) la position du cheval et de l’apôtre tombé à terre pour la réutiliser dans son propre tableau (1675-1682, Musée du Prado, Madrid).
Le nu féminin est naturellement largement évoqué, au travers des œuvres de Watteau, Boucher, Renoir ou Cézanne. Le résultat visuel est là encore très plaisant, même si le parallèle se limite parfois à la corpulence des femmes et aux reflets bleutés de leurs chairs roses… Les comparaisons les plus audacieuses sont sans doute celles opérées avec les peintres modernes. Au-delà de la simple reprise, certains semblent avoir complètement assimilé le travail de Rubens pour nourrir leur propre création. C’est le cas d’Honoré Daumier qui réalise en 1850 Femmes poursuivies par des satyres (Musée des beaux-arts de Montréal). Si le thème, la composition, les juxtapositions des couleurs rappellent Rubens, la modernité qui s’en dégage est, elle, toute nouvelle. Plus surprenant encore, la Loreley (1942, Tate Gallery, Londres) d’Oskar Kokoschka reprend un décor du maître réalisé à la gloire du frère de Philippe IV d’Espagne et en détourne le message. La scène de l’Énéide y devient alors une charge contre la reine Victoria.
Médiation défaillante
L’une des juxtapositions les plus belles est celle du magnifique Christ à la paille de Rubens (vers 1617, Musée royal des beaux-arts d’Anvers) et de la petite Pietà qu’elle inspira à Eugène Delacroix (v. 1850, National Gallery d’Oslo). Dans ses lettres, Vincent Van Gogh confiait adorer cette dernière. Il semble qu’il n’ait pas compris d’où en venait l’inspiration, lui qui jugeait Rubens si peu apte à exprimer les sentiments.
Le principal défaut de l’exposition réside dans sa médiation. S’il refuse l’audioguide, le visiteur doit se contenter de la lecture de quelques textes de salle indigents, à la limite du racolage (où l’on apprend que Rubens, « le Quentin Tarentino de l’époque », était un peintre de « la jet-set génoise » dont les femmes « semblent sortir d’un numéro de Vogue »…). L’accrochage semble ainsi conçu à deux niveaux, les amateurs tissant eux-mêmes avec plaisir les liens entre les œuvres et le public moins averti passant à côté dans un survol de quatre siècles de création.
Reste que l’exposition offre un intéressant témoignage des différents regards portés par les artistes sur Rubens au cours des siècles, et ce jusqu’au-delà des mers. En témoigne un plat en porcelaine importée de Chine (dynastie Qing), orné d’une interprétation très personnelle d’une Crucifixion du maître anversois (MRBA, Anvers).
Commissariat : Nico Van Hout, assisté par Arturo Galansino
Nombre d’œuvres : environ 160
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Rubens et ses héritiers
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 4 janvier 2015, Bozar – Palais des beaux-arts, 23 rue Ravenstein, Bruxelles, tél. 32 2 507 82 00, www.bozar.be, tlj sauf lundi 10h-18h, le jeudi jusqu’à 21h. Catalogue, coéd. Bozar/Fonds Mercator, 351 p., 49,95 €.
Légende Photo :
Honoré Daumier, Femmes poursuivies par des satyres, 1850, huile sur toile, 131,8 x 97,8 cm, Musée des beaux-arts, Montréal. © Photo : Brian Merrett.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Rubens et ses héritiers