Dans le cadre d’un partenariat, le château
de Versailles exporte sa collection de carrosses à Arras où voitures royales et impériales racontent une autre histoire de France…
On chassait à son bord, on y faisait la guerre, les enfants jouaient avec, certains y avaient peut-être été conçus, leurs parents quelquefois y mouraient, on s’enfuyait grâce à lui, on en était prisonnier, il ressortait aux grandes occasions... ayant tant servi pendant trois siècles, le carrosse a fini misérablement comme le symbole de l’égoïsme des puissants. L’exposition qu’a montée à Arras Béatrix Saule, directrice du château de Versailles, le réhabilite dans sa grandeur et sa servitude, ainsi que l’ensemble des voitures avant l’invention du moteur à vapeur .
Les « chariots branlants » de François Ier et Henri II
Les noms désignant les différents transports de personnes ne sont pas toujours très clairs, mais, pour simplifier, le carrosse est une voiture fermée, qui devint vite synonyme de prestige. Au temps de Louis XIV est né le « carrosse moderne », doté d’une suspension, dont l’avant était capable de tourner à angle droit et qui n’était plus seulement fermé par des rideaux, mais par une caisse pourvue de portières, et même de vitres. Il était auparavant plutôt rare en France. En 1577, la reine s’était rendue en Flandre en grand convoi en « littiere faite à pilliez doublez de velours incarnardin d’Espagne en broderie d’or, et de soy nuée à devise ». Sa voiture, « toute vitrée », était couverte de « quarante devises toutes différentes, avec les mots en espagnol et en italien, sur le soleil et ses effects ». De quoi en imposer aux populations locales.
François Ier comme Henri II demandèrent à François Clouet de peindre leurs « chariots branlants ». En 1584, la reine s’est déplacée en « carroche » pour bénir le corps du duc d’Alençon, chef des « malcontents », peut-être pour donner une certaine allure à un événement que son frère le roi devait considérer comme bienheureux. Mais l’usage, même s’il n’était pas fixé, voulait que ce mode de déplacement peu viril soit plutôt destiné aux femmes ou aux handicapés. À travers l’Europe, des édits somptuaires voulurent en limiter l’utilisation, voire l’interdire.
Henri IV n’en avait qu’un. En 1606, il faillit se noyer avec la reine, l’attelage s’étant affolé dans le passage en bac de la Seine. Il paraît qu’il en plaisanta, invoquant le besoin qu’il avait de s’abreuver après un repas plutôt salé… Quatre ans plus tard, il fut poignardé à bord d’un véhicule découvert, mais son assassin, lui, fut transporté en carrosse jusqu’au lieu de son supplice, sous les jets de pierres.
Le 6 janvier 1649, Paris gagné par la Fronde, la famille royale s’était enfuie en carrosse, précaution utile. On sait combien ce traumatisme a marqué le règne de Louis XIV, alors âgé de 10 ans. En 1661, année de sa prise de pouvoir, il fit son entrée dans Paris dans un carrosse suspendu à glaces. L’essor de Versailles et de la vie de cour, la montée d’une bourgeoisie d’affaires favorisèrent cette industrie du luxe, la voiture devenant (déjà) le meilleur moyen de paraître. Le souverain, qui préférait des hommes de confiance aux grands seigneurs, leur concédait volontiers de tels plaisirs. En 1650, il fallut promulguer les statuts de cette production comptant cinquante-cinq articles, lesquels durent être corrigés sans cesse, et réitérés, n’étant qu’à demi-respectés. Carrosses, coupés (raccourcis, pour être plus maniables), calèches (ouvertes à plusieurs bancs, pour la chasse et la promenade à la campagne), chaises de poste, litières, nouvelles berlines ont alors bénéficié des suspensions à ressorts dont l’invention est attribuée à Jean Le Pautre vers 1660.
Les chaises à porteurs aussi se répandirent, pour éviter d’être crotté à Versailles, ou pour ceux qui ne pouvaient s’offrir carrosse et chevaux. Adam François Van der Meulen, ayant suffisamment peint Louis XIV à cheval pour guider ses troupes, fixait ces anecdotes. Pour L’Entrée de Louis XIV et Marie-Thérèse à Arras le 30 juillet 1667, qui se trouve au cœur de l’exposition, il frappe de lumière le carrosse de la reine parce que c’est elle qui incarne la légitimité de l’héritage disputé à l’Espagne.
Posséder un carrosse, le rêve du laquais chez Regnard
Les plus grands artistes, orfèvres et doreurs, comme Oudry, Lancret, Germain ou Ballin le Jeune, étaient employés pour décorer le parc royal. On en fit des miniatures pour les enfants. On organisait des courses de traîneaux, décorés en animaux fantastiques, le long du Grand Canal gelé. « Je deviendrais un jour aussi gras que mon maître, j’aurais un bon carrosse à ressorts bien liants, de ma rotondité j’emplirais le dedans » : en 1696, dans Le Joueur, le plus grand succès comique depuis Molière, Jean-François Regnard résumait ainsi le rêve d’un laquais.
Les transports collectifs étaient nés avec le siècle. En 1647, quarante-trois villes en France comptaient des coches de voyage. En 1680, Les Carrosses d’Orléans de Jean de La Chapelle rivalisaient avec Phèdre à la Comédie-Française. La pièce s’ouvre sur la tirade d’un jeune homme qui a dû partager un carrosse avec une plaideuse obsédée par ses procès, une petite provinciale qui n’a jamais vu Paris et « ne songe qu’aux ajustements qu’elle s’y donnera », un abbé sot et bavard, « un Hollandois qui à peine ne sait écorcher cinq ou six mots de françois », sans compter l’adolescente hurlant au moindre cahot et la bonne dame « qui ne peut retenir son eau et qui sans cesse fait arrêter le carrosse pour rendre des tributs à la nature ». En un acte, et en prose, le chef-d’œuvre de l’écrivain.
Un tel emballement n’était pas du goût de tous. En 1692, Charles de Saint-Évremond se plaignait de cette « coutume inventée pour abréger les jours dans un temps où la vie est si courte ». À Rome, faisant un bruit infernal le soir, « il y en a un nombre infini qui ne sont faigts que pour tuer les vivants ». C’était avant l’apparition de la Vespa. Et, à Paris, il ne voyait que canassons faméliques et cochers brutaux, ce qu’on n’a aucune peine à croire. Dans la lignée de l’abbé Nicolas Gédoyn, La Font de Saint-Yenne déplorait ces « tableaux coloriés, d’un prix et d’une perfection supérieure, ou du moins égale, à tous ceux qui ornaient les appartements des maîtres de ces maisons ». « Depuis Louis XIV, tout homme qui a le moyen d’aller en voiture y va », soupire Daniel Ramée dans son histoire de la locomotion, en 1856. C’est de ce règne « que date l’usage des voitures, non pour l’utilité mais pour la paresse, l’ostentation et la mollesse ». Aux dépens des « saines traditions gouvernementales… on vit s’étendre ces doctrines bourgeoises, qui poussèrent à une démocratie impossible et abstraite et qui depuis a été si funeste à la société européenne ». La Convention, en dépeçant le carrosse royal, mit fin à tous ces amusements.
« La lune était sinistre sur cette plaine. » Le 18 juin 1815 à Waterloo, Napoléon aurait voulu périr au combat, mais ses généraux parvinrent à l’en dissuader. Le Musée de la Légion d’honneur organise une exposition autour de son convoi. L’Empereur voyageait à l’intérieur d’une berline améliorée, dont les portières s’ouvraient à l’avant et à l’arrière. Une « dormeuse », aménagée d’un lit et d’un pupitre. Napoléon dut s’enfuir dans un landau, dont le toit formait une capote rétractable, puis à cheval (laissant son chapeau, perte ô combien symbolique qui fut largement exploitée).
Les deux véhicules furent arraisonnés par les Prussiens. La dormeuse passa en Angleterre, où plusieurs centaines de milliers de personnes purent la voir pour un shilling dans une tournée entamée en 1816 par William Bullock, qui rêvait de présenter toutes les espèces vivantes naturalisées dans sa « galerie égyptienne ». Cédée à Mme Tussaud, elle fut détruite dans l’incendie de son musée en 1925. Saisi par Blücher, le landau fut gardé dans sa fa mille et offert au musée de Malmaison par son descendant en 1973.
La dispersion du butin
Les fantassins s’étant partagé pièces d’or, bijoux, vins et victuailles, le maréchal se réserva les médailles, le manteau, le pistolet et le chapeau, qui aboutirent dans un musée de Berlin. Le trésor fut emporté en 1945 par les Soviétiques, le chapeau rendu à Berlin, et les médailles furent gardées à Moscou.
Il y avait aussi une épée, que Blücher pensait être celle de l’Empereur. C’était en fait celle d’un officier d’état-major. Napoléon avait bien laissé dans sa berline embourbée une de ses épées, de superbes armes de service montées en or. Disparue dans le pillage, elle a réapparu en 1932 à Berlin, où elle a été achetée par le Musée de l’armée. Elle y a été dérobée en 1940 et n’a jamais été retrouvée.
> « La berline de Napoléon », Musée de la Légion d’honneur, 2, rue de la Légion-d’Honneur (parvis du Musée d’Orsay), Paris-7€. Entrée libre, jusqu’au 8 juillet 2012. www.musee-legiondhonneur.fr
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Roulez carrosses - L’histoire de France par ses voitures
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Roulez carrosses ! Le château de Versailles à Arras », jusqu’au 10 novembre 2013. Musée des beaux-arts, 22, rue Paul-Doumer, Arras (62). Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11 h à 18 h. Tarifs : 7 et 4 €.
www.musenor.com
Après les carrosses royaux à Arras, les « carrosses » présidentiels sont présentés à l’espace C42 de Citroën sur les Champs-Élysées. La marque est choisie pour la première fois par René Coty en 1954 comme étant celle des voitures officielles. Jusqu’à la mi-juin, sa traction avant, ainsi que la DS de Charles de Gaulle (photo) ou encore la SM de Georges Pompidou sont exposées, accompagnées de photographies et de vidéos d’archives des présidents français et de leurs voitures de fonction jusqu’à la présidentielle de 1995. Et, clin d’œil à la période électorale actuelle, un isoloir permet de voter pour son modèle préféré.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Roulez carrosses - L’histoire de France par ses voitures