Dans le cadre du festival « Normandie impressionniste », le Musée des beaux-arts de Rouen examine le rôle joué par la ville de Flaubert dans le mouvement impressionniste.
ROUEN - C’est l’exposition phare du festival gargantuesque « Normandie impressionniste ». Un projet caressé depuis quelques années par Laurent Salomé, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen, et rendu possible grâce aux moyens colossaux dégagés pour l’opération touristico-culturelle d’ampleur régionale (lire le JdA no 322, 2 avril 2010, p. 7). « Une ville pour l’impressionnisme » braque les projecteurs sur Rouen à l’époque des bouleversements esthétiques de la fin du XIXe siècle et dévoile le visage d’une ville bien moins conservatrice qu’il n’y paraît. Et pour cause, les recherches engagées pour l’exposition racontent une tout autre histoire que celle traditionnellement relatée au musée : non, la municipalité n’avait pas refusé en 1903 le don de la faramineuse collection de tableaux impressionnistes de François Depeaux, pour finalement l’accepter en 1909 dans une version appauvrie. En réalité, trois semaines après son offre initiale, le mécène s’est fait doubler par sa future ex-épouse, laquelle a fait poser les scellés sur l’intégralité de l’appartement afin que rien n’échappe au partage des biens. La collection fut donc dispersée aux enchères en 1906, et François Depeaux ne put en racheter qu’une petite portion. La supposée étroitesse d’esprit de responsables municipaux fait donc place à la « vénalité » d’une épouse trompée ; la légende s’en accommodera.
Cette anecdote redore le blason de la ville – à défaut de lui rendre ses tableaux. À cela s’ajoute la présentation d’une fine équipe, celle des « mousquetaires » de l’avant-garde rouennaise des années 1880 que furent Charles Angrand, Léon Jules Lemaître, Charles Frechon et Joseph Delattre. L’histoire, là encore, les a relégués à l’arrière du peloton, alors qu’il suffit d’observer les toiles ici réunies pour y déceler le talent dont ces jeunes artistes faisaient preuve et surtout la contemporanéité de leur travail avec celles des avant-gardes parisiennes. Et, contrairement aux apparences, ce n’est pas la venue à Rouen de Claude Monet et Camille Pissarro qui a pesé sur les orientations de ce groupe, mais leur fréquentation des cercles artistiques de la capitale. Dans le passionnant catalogue de l’exposition, Claire Maingon explique que ce « tour de Paris » « remplace l’ancien voyage d’apprentissage en Italie ». Restreinte à la représentation de la ville de Rouen et de ses environs, la sélection fait donc se côtoyer sans heurts les œuvres de ces quatre mousquetaires et celles de leurs aînés. Les tentatives impressionnistes de Paul Gauguin, venu passer dix mois à Rouen en 1884, paraissent même ennuyeuses en comparaison, à l’exception peut-être de la Rue Jouvenet, Rouen (1884), à la construction complexe et colorée.
Le parcours ne serait pas complet sans un hommage appuyé à Claude Monet et Camille Pissarro. Monet trouve en la ville de Flaubert, site pittoresque et port moderne, le terreau idéal pour développer le concept de paysage industriel au début des années 1870. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’il réalisera sa majestueuse série de « Cathédrales », dont onze exemples sont ici réunis – un tour de force à tous les points de vue. Cette série exposée chez Durand-Ruel en 1895 inspira sans doute Pissarro, qui, un an plus tard, peint le pont Boieldieu par tous les temps.
À quand Monet-Pissarro ?
Les salles suivantes illustrent la virtuosité avec laquelle Pissarro se spécialise dans ces mises en scène du travail contemporain : les grues, les bateaux à quai et la fumée sont les emblèmes de la modernité. Et si l’on sort du cadre de Rouen stricto sensu, cette série de Pont Boieldieu à Rouen n’est pas sans rappeler les ponts de Waterloo et de Charing Cross réalisés à la chaîne par Monet autour de 1900 à Londres. Entre ces deux visions, le dialogue est perceptible. Après la rencontre Cézanne-Pissarro en 2006 au Musée d’Orsay à Paris, à quand une confrontation, plus prometteuse, entre Monet et Pissarro ? En guise d’invitation à la réflexion, le parcours se conclut sur l’insolent Maurice Pinchon, au talent si protéiforme qu’il en devient indéfinissable ; chacune de ses toiles évoque le style d’un maître, et aucune ne laisse transparaître la personnalité de l’auteur.
Et le commissaire Laurent Salomé de souhaiter voir les spécialistes plancher sur la question suivante : comment définir l’impressionnisme ? Doit-on s’en tenir aux dates, au style, à la palette, à l’esprit, au choix du sujet, à la rapidité d’exécution ? Un sujet sur lequel il serait temps de s’accorder, à l’heure où, par son ambition généraliste et pluridisciplinaire, le festival « Normandie impressionniste » s’approprie une appellation fondamentale de l’histoire de l’art.
UNE VILLE POUR L’IMPRESSIONNISME. MONET, PISSARRO ET GAUGUIN À ROUEN, jusqu’au 26 septembre, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel-Duchamp, 76 000 Rouen, tél. 02 35 71 28 40, www.rouen-musees.com, tlj sauf mardi 9h-19h, 9h-22h jeudi et samedi, 11h-22h le mercredi. Catalogue, coédité par le musée et Skira-Flammarion, 400 p., 39 euros, ISBN 978-2-0812-4192-3.
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Rouen révélée
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Laurent Salomé, directeur des musées de Rouen
Nombre d’œuvres : environ 130 tableaux et œuvres sur papier répartis dans une dizaine de salles.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Rouen révélée