Les œuvres de la Pinacothèque de Sienne s'exposent à Rouen pour une très pédagogique leçon d'histoire de l'art siennois.
ROUEN - Aucune rétrospective consacrée à l’école siennoise ne s’était tenue en France depuis l’exposition « L’art gothique siennois », en 1983 en Avignon. Pour avoir attiré au XIVe siècle plusieurs artistes italiens (Simone Martini en tête), l’ancienne cité pontificale abrite en effet une riche collection de primitifs siennois. Les liens entre la Normandie et la petite cité toscane sont a priori plus ténus. La Pinacothèque de Sienne, riche d’un exceptionnel fonds d’artistes locaux, a pourtant contacté le Musée des beaux-arts de Rouen pour y exposer une soixantaine de ses œuvres, principalement des panneaux peints. Coproduite par l’Italie, la Belgique et la France, cette manifestation a d’abord fait étape à Bozar à Bruxelles, avec un parcours thématique peu convaincant. Du Christ à la Vierge en passant par les saints, l’exposition belge a décliné les unes après les autres les figures de l’iconographie chrétienne tel un cours de catéchisme. Le Musée des beaux-arts de Rouen a plus judicieusement usé d’un parcours chrono-thématique, éclairant l’évolution d’un des foyers artistiques les plus singuliers de l’Italie du Trecento et du Quattrocento.
Innovations picturales
Grande puissance politique et économique, Sienne s’impose à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle comme un lieu d’innovation picturale : les personnages religieux brossés par Duccio, puis Simone Martini ou les frères Lorenzetti apportent une humanisation qui s’émancipe d’un carcan byzantin très hiératique. Témoignant de l’importance capitale conférée à la Vierge Marie – désignée comme la protectrice de la cité en 1260 –, des Madones défilent sous leur pinceau, échangeant avec le Christ enfant dans un tendre dialogue.
Le goût pour les architectures alambiquées et les personnages individualisés explose dans les représentations de la ville, dont la fresque des Effets du bon et du mauvais gouvernement (réalisée entre 1338 et 1340 par Ambrogio Lorenzetti sur les murs du Palazzo Publico de Sienne et reproduite dans l’exposition) est le plus fameux exemple.
En 1348, la grande peste noire, qui endeuille l’Europe et décime les artistes, met un frein à l’effervescence artistique de la cité. Le XVe siècle siennois peut même apparaître comme retardataire à l’heure où les Florentins s’illustrent dans la conquête de la perspective. Mais Sienne suit sa propre voie, occupée à une vision empirique de l’espace où l’unité spatiale importe moins qu’une narration fourmillante de détails. Ainsi, la taille des champs et des édifices défie celle des montagnes dans la très courtoise Vierge d’humilité de Giovanni di Paolo (vers 1450). Le Quattrocento siennois livre des peintures souvent décrites comme « savoureuses » par ses commentateurs eu égard à ses traits humoristiques ou atmosphériques. Ici des moutons s’entassant dans un enclos (Sano di Pietro, L’Annonce aux bergers, vers 1450), là des nuages effilés défilant sur un ciel aux dégradés d’azur (Sassetta, Saint Antoine battu par les diables, 1423-1424)…
La fin du parcours révèle une influence de plus en marquée de Florence – l’éternelle rivale, qui avalera Sienne en son duché en 1555. Celle-ci se perçoit dans la relative acceptation des principes de la perspective de la part d’un Benvenuto di Giovanni et d’un Girolamo di Benvenuto (Noli me tangere, vers 1500).
Cette leçon d’histoire de l’art assez classique offre au grand public les clefs stylistiques, historiques et iconographiques de l’art siennois grâce à des textes très pédagogiques et des supports de médiation efficaces (frise chronologique, reconstitution en images des différents éléments d’un retable…).
Très aéré, l’accrochage favorise une circulation agréable entre des œuvres dont les connaisseurs pourront regretter qu’elles n’émanent pas de prêteurs plus divers. « Cela aurait donné la possibilité de rapprocher des éléments de retables disséminés entre diverses institutions, mais les réalités budgétaires ne nous ont pas permis d’emprunter plus largement à l’international », explique Sylvain Amic, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen. Seules quelques œuvres provenant des musées français sont venues intégrer le parcours, vitrine des trésors que renferme la Pinacothèque de Sienne. Des trésors qui n’ont rien à envier aux « Chefs-d’œuvre des musées florentins » que l’exposition rouennaise a exposés en 2006 (lire le JdA no 239, 9 juin 2006).
Commissariat : Mario Scalini, surintendant général de la Pinacothèque de Sienne ; Anna Maria Guiducci, directrice de la Pinacothèque de Sienne ; Sylvain Amic, directeur du Musée des beaux-arts de Rouen
Nombre d’œuvres : 70
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Rouen honore Sienne
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 août, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel-Duchamp, 76000 Rouen
tél. 02 35 71 28 40
www.mbarouen.fr
tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 9 €.
Catalogue, éd. Bozar Books, 248 p., 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Rouen honore Sienne