Le château de Versailles met à l’honneur un portraitiste suédois, célèbre au XVIIIe siècle malgré les critiques de Diderot.
VERSAILLES - Certains artistes ont le sens des affaires. Le Suédois Alexandre Roslin (1718-1793) – ses contemporains l’écrivaient « Rosseline » – était l’un de ceux-là. Arrivé à Paris en 1752, il parvient à être agréé dès l’année suivante à l’Académie royale de peinture et de sculpture, s’assurant par ce biais un flux important de commandes. À sa mort, quarante ans plus tard, il est l’un des plus riches peintres de Paris. La galerie de portraits réunie dans cette exposition versaillaise le démontre aisément, en comptant les personnages les plus influents de la seconde moitié du XVIIIe siècle – écrivains, fermiers généraux, ministres, personnalités étrangères, membres de la famille royale –, tous figurés avec mains, genoux voire en pied, portraits toujours facturés plus cher. Seuls les rois de France refuseront de prendre la pose devant le chevalet du Suédois.
Renommé en son temps, Roslin est pourtant un oublié des histoires de la peinture française. Ce n’est pas le cas en Suède, où il est considéré comme une figure nationale, les musées s’évertuant depuis des années à racheter ses œuvres. Son portrait de la Dame au voile (1768), représentant son épouse, Marie-Suzanne Giroust, vêtue d’un voile noir à la mode bolonaise, est l’une des icônes du Musée national de Stockholm. Cette très belle image suffit en effet à prouver ses qualités de portraitiste : il excelle dans le rendu des étoffes, des moires, des soieries et des passementeries. C’est probablement ce qui attire l’attention sur le peintre lorsqu’en 1752, alors qu’il officie à Parme, il est recommandé à la Cour de France par le duc Philippe de Bourbon, époux de l’une des filles de Louis XV.
Fils de médecin et formé en Suède, Roslin avait auparavant travaillé à Bayreuth (Allemagne) avant de se rendre en Italie, pour un voyage qui sera plus décisif pour sa carrière que pour l’évolution de son art. Une fois établi à Paris, le peintre noue des contacts fructueux avec des artistes, tels Claude Boucher ou Joseph-Marie Vien, mais aussi avec le célèbre amateur Caylus. Pour plaire à ce dernier, il expérimente la technique du pastel à l’huile ou à l’encaustique, promue par Caylus, et exécute le très beau Flore (1763, Musée national des beaux-arts, Stockholm), dans lequel Xavier Salmon, co-commissaire de cette exposition, veut reconnaître les traits de son épouse. Roslin abandonnera plus tard le pastel pour ne pas nuire à la carrière de sa femme, elle-même pastelliste.
« Acuité psychologique »
Aussi brillant soit son parcours, Roslin a toutefois dû affronter l’acrimonie de Diderot, qui ne voyait en lui qu’un « bon brodeur ». Les propos acerbes et parfois teintés de nationalisme de l’écrivain ne sont pourtant pas toujours faux. Ainsi des portraits des filles de Louis XV (1765, Musée Zorn, Mora, et Musée d’art, Helsingborg) dans l’appartement desquelles se tient l’exposition, tristement plongée dans la pénombre pour bénéficier d’une lumière artificielle mais constante. Sous son pinceau, Adélaïde et Victoire, aux traits disgracieux, sont affublées de « toute la boutique d’une marchande de modes » et littéralement « plaquées de vermillon » (Diderot). « Les portraits de Roslin sont aussi d’une grande acuité psychologique », plaide Xavier Salmon. Les images de groupe, dans lesquels les personnages paraissent s’ignorer, sont toutefois nettement moins convaincantes. Qu’importe, Roslin a toujours su satisfaire les desidarata de sa pléthorique clientèle, en quête d’images sur mesure et conformes à leur rang social.
ALEXANDRE ROSLIN, UN PORTRAITISTE POUR L’EUROPE, château de Versailles, 78000 Versailles, jusqu’au 18 mai, tlj sf mardi, 9h-17h30, 18h30 à partir du 1er avr. Cat., 208 p., 40 euros, ISBN 978-2-7118-5464-6.
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Roslin ou les limites de la virtuosité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Roslin ou les limites de la virtuosité