De lui, la postérité n’a conservé qu’un unique portrait. Peint sur un rouleau de soie, il représente l’artiste assis en tailleur, le crâne rasé, les yeux mi-clos au-dessus d’une barbe naissante.
S’il est difficile de lui donner un âge, l’homme paraît fatigué. Problème, on ne peut pas se fier à ce portrait pour se faire une image de Nagasawa Rosetsu, peintre japonais de la fin du XVIIIe siècle. Et pour cause : le rouleau a été peint après 1830, alors que Rosetsu est décédé en 1799, prématurément à l’âge de 45 ans. Nagasawa Rohô, son petit-fils qui a réalisé ce portrait, n’a pas connu son grand-père et s’est donc probablement appuyé sur les récits transmis par son propre père, Roshû, fils adoptif de Rosetsu. Dommage, car peu d’informations nous sont aujourd’hui parvenues sur l’artiste, étayées par quelques lettres. Que nous disent-elles, ces lettres ? Que Rosetsu fut un excentrique, un homme colérique et un incorrigible buveur de saké. Bref, un personnage sympathique pour notre époque à la recherche de figures singulières de l’histoire de l’art. Descendant d’une lignée de samouraïs – ce qui n’est pas exceptionnel à l’époque d’Edo –, Rosetsu a été formé à Kyoto par Maruyama Ôkyo (1733-1795), fondateur du mouvement réaliste au Japon. Mais son talent et sa liberté le font rapidement s’écarter de l’influence stylistique de son maître pour appartenir, aujourd’hui, à la catégorie des peintres « individualistes », avec Itô Jakuchû et Soga Shôhaku, deux artistes que l’on peine à rattacher aux écoles d’alors, dont celle de Kanô. Moins précieuses et raffinées que les peintures de Jakuchû – que l’on peut actuellement admirer à Paris –, les peintures de Rosetsu sont plus tempétueuses. Le trait est si vigoureux qu’il pourrait faire passer leur auteur pour un fou ; les compositions sont si audacieuses qu’elles en deviennent expressionnistes. Aux figures animalières encore influencées par le réalisme d’Ôkyo s’opposent les paysages brossés à la va-vite. Plus qu’un décor, ces paysages témoignent de la forte personnalité de Rosetsu qui s’exprime aussi dans les personnages qu’il choisit de peindre : Kanzan et Jittoku (deux excentriques de la mythologie zen) ou l’érudit ivre, peint au doigt « de manière ludique dans un état d’ivresse ». Cette originalité ne déplut pas aux moines qui lui commandèrent, dans les années 1880, la décoration du temple zen de Muryôji, à Kushimoto. Les quarante-huit panneaux peints pour le temple composent aujourd’hui les deux tiers de l’exposition du Musée Rietberg. Zurich étant plus accessible que le Japon, cette événement est l’occasion rêvée d’y aller découvrir un peintre jamais exposé en Europe.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Rosetsu, l’original