Pour fêter les 220 ans d’une collection qui compte près de 90 000 numéros, le Centre national des arts plastiques s’offre les espaces du Tri postal, à Lille, avec une exposition baptisée « Collector ». Interview de son directeur, Richard Lagrange.
L’œil : Le Centre national des arts plastiques (Cnap) a été créé en 1982, mais l’institution est beaucoup plus ancienne puisqu’elle fête cette année ses 220 ans. Quelle a été l’origine de sa création ?
Richard Lagrange : L’institution a existé sous des appellations très diverses. Ce qui a 220 ans, c’est la collection et la politique qu’elle traduit, c’est-à-dire des acquisitions menées auprès des artistes vivants. Cela pour différentes raisons. À la fois dans le dessein de soutenir la création et d’enrichir les collections publiques nationales pour les générations futures, mais aussi pour contribuer au décor des administrations publiques. S’est ajouté un objectif de diffusion des œuvres contemporaines, ce qui a conduit, dès le XIXe siècle, à faire de très nombreux dépôts, dont parfois des copies d’œuvres célèbres, afin de les placer dans les musées ou les administrations.
L’œil : Les choix se portaient-ils réellement sur les avant-gardes ?
R. L. : À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, dès lors que certains courants artistiques majeurs, comme l’impressionnisme ou les débuts de l’art moderne, ne sont plus passés par les Salons, nos prédécesseurs les ont manqués. Avec la création du ministère de la Culture, cette politique a été réformée pour être menée de manière pluraliste et en prise avec la réalité de la vie artistique. Pour cela, nous constituons des commissions très ouvertes en faisant appel à des personnalités extérieures à l’administration : critiques d’art, collectionneurs ou artistes. Nous essayons de veiller à la plus grande diversité de regards, de générations, de goûts afin d’éviter de conduire une politique d’acquisition trop univoque qui négligerait certains courants.
L’œil : Au risque de l’œcuménisme ?
R. L. : Non, nous faisons des choix affirmés, même si le sens de nos acquisitions n’est pas de bâtir une collection, car nous ne sommes pas un musée. L’objectif est d’acquérir des œuvres pour établir une sorte de « photographie » qui soit la plus précise possible de ce qui se passe au moment où nous achetons. Cette approche est un choix parfaitement assumé.
L’œil : Où achetez-vous ces œuvres ?
R. L. : Nous achetons de façon très diversifiée, auprès des galeries ou directement aux artistes lorsqu’ils n’ont pas de galerie. Aujourd’hui, nous évitons, en principe, d’acheter dans les foires. Ce qui ne veut pas dire que nous ne les fréquentons pas. On procède à plusieurs niveaux. Les membres des commissions sont des spécialistes qui visitent les expositions, les biennales, vont dans les galeries et les ateliers, connaissent des artistes. Cela guide leurs propositions. Par ailleurs, nous essayons d’articuler nos choix avec l’autre aspect de notre mission, qui est l’aide à la création, ce qui permet de repérer des artistes très tôt. Nous pratiquons ainsi par « capillarité », en essayant d’être le plus proches possible de la vie artistique.
L’œil : Le Cnap achète pourtant tous les ans des œuvres à la Fiac. S’agit-il du meilleur endroit pour soutenir la création ?
R. L. : Il y a quatre ou cinq ans, le ministère de la Culture a décidé d’apporter son soutien non pas au marché de l’art mais à la foire. Toutefois, je ne pense pas que cette politique doive durer, car la Fiac est aujourd’hui bien installée et l’État n’a aucune raison de privilégier une foire plutôt qu’une autre. D’autant que dans un tel cas, les acquisitions se font souvent dans des conditions peu favorables.
Lors des achats en commission, nous avons le temps. Dans une foire, il faut se décider en vingt-quatre heures, sous la pression, ce qui rend aussi la négociation difficile. Une politique d’acquisition de l’État ne peut être menée ainsi, dans l’urgence. Cette année, nous y avons donc limité nos achats.
L’œil : Quelles sont vos marges de manœuvre budgétaires pour mener ces acquisitions ?
R. L. : Avec près de trois millions d’euros par an, notre budget est non négligeable, même s’il est stable dans la dernière période. Mais il est évident que nos acquisitions concernent à 30 % des jeunes artistes, achetés à des prix relativement bas. Par ailleurs, nous négocions de la manière la plus serrée possible. Les artistes stars sont hors de notre portée. Un des enjeux est donc d’acheter très tôt. L’exposition du Tri postal, à Lille, montre ainsi l’autruche de Maurizio Cattelan (Sans titre, 1997), une œuvre achetée en 1998, très bon marché à l’époque, auprès d’une jeune galerie... celle d’Emmanuel Perrotin. Une pièce qui serait aujourd’hui inabordable.
L’œil : Le débat sur l’aliénation revient régulièrement. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
R. L. : En matière de beaux-arts, je considère que l’inaliénabilité est un grand principe qui nous a préservés de bien des erreurs. Je crois que, précisément pour l’art contemporain, il faut être encore plus vigilant, ne pas céder aux modes et aux coups de tête, car il s’agit par définition d’un art sur lequel nous n’avons pas de recul. Laissons donc juger les générations futures... Sans un tel principe, la France aurait eu maintes fois l’occasion de se priver d’un patrimoine exceptionnel, et nous le regretterions aujourd’hui amèrement.
L’œil : Mais ce concept d’État collectionneur a-t-il encore du sens dans le contexte budgétaire actuel ?
R. L. : Bien sûr, il faut tenir compte de la contrainte budgétaire et de la situation économique. Mais ce serait une erreur d’arrêter d’enrichir les collections sous prétexte que la situation est difficile. L’État est là aussi pour atténuer les aléas de la vie économique. Malgré la crise, il continue à éduquer les enfants, à former les étudiants, à faire fonctionner les services publics ou le système de santé, avec plus ou moins de facilité et de générosité. À mon sens, entretenir le patrimoine, enrichir les collections et soutenir la création font partie de ces missions indispensables. Et de quoi parle-t-on ? De trois millions d’euros de budget pour ce qui nous concerne. C’est très peu face aux déficits.
Après les collections privées des hommes d’affaires Charles Saatchi et François Pinault, le Tri postal ouvre ses espaces à l’une des plus grandes collections contemporaines publiques, celle du Centre national des arts plastiques. Cent cinquante œuvres et quatre-vingt-six artistes, mêlant tous les médias, y sont confrontés de manière thématique. Ouverte par un poème d’Ernest T. – « Arrêtez un peu la tête et la main, surtout la main, sinon où mettra-t-on les travaux futurs ? » –, cette sélection s’interroge sur l’avenir de la création dans un monde saturé d’images, illustré avec humour par le Logorama du collectif H5. Si cette exposition est une manière de célébrer le caractère protéiforme de la collection, elle vise aussi à mieux la faire connaître. « 40 % des œuvres montrées à Lille ne sont pas en dépôt », rappelle Richard Lagrange, le directeur du Cnap. Autant dire qu’elles sont disponibles pour les musées, conformément aux missions de l’institution.
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Richard Lagrange - « Le CNAP doit continuer à enrichir sa collection »
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du 5 octobre au 1er janvier 2012. Au Tri postal à Lille. Ouvert le mercredi, jeudi et dimanche de 10 h à 19 h et le vendredi et samedi de 10 h à 20 h. Ouvertures exceptionnelles le 31 octobre, les 1er et 11 novembre, le 25 décembre et le 1er janvier 2012. Tarifs : 6 et 4 €.
www.lille3000.eu
Liberté, Égalité, Fraternité. Depuis 1982, le Cnap a pour mission de soutenir et de diffuser la création contemporaine française à l’étranger. Après les dessins d’architecture exposés à Bucarest, il présente le design hexagonal à Miami. « Liberty, Equality and Fraternity » au Wolfsonian Museum reprend dans son titre la devise de la Révolution française « comme cadre conceptuel » de l’exposition. Cent vingt objets de l’artisanat et de l’industrie, de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, issus de ses collections, seront présentés à partir du 28 novembre.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°640 du 1 novembre 2011, avec le titre suivant : Richard Lagrange - « Le CNAP doit continuer à enrichir sa collection »