Si l’on dort toujours de la même façon, les rituels liés au coucher ont changé d’un siècle à l’autre. Onze ensembles, appartenant au Musée des arts décoratifs et restaurés pour l’occasion, invitent à suivre les évolutions stylistiques du lit, l’un des éléments les plus importants du mobilier domestique et des plus chargés en symboles.
PARIS - Le mot "rêve", inséré dans le titre de l’exposition, ne laisse aucun doute : l’évolution de la chambre à coucher que le Musée des arts décoratifs nous esquisse, n’est pas celle des intérieurs quelconques où se déroule la vie quotidienne depuis nos ancêtres jusqu’à nos contemporains. Les ensembles exposés dessinent une histoire de la décoration d’intérieur limitée aux pièces d’exception qui, sans nous apprendre où un marchand du XVe siècle, un limonadier du XVIIIe ou une jeune fille du début du XXe dormaient, nous montrent les changements de goût qui accompagnent la transformation des conceptions sociales liées aux rites du coucher.
Au départ, l’intimité d’une telle fonction compte peu. La chambre à coucher ne deviendra que très tard, et avec l’avènement de la bourgeoisie, le dernier refuge de la vie privée. La chambre d’apparat, elle, est associée aux événements principaux de la vie publique : naissance, mariage, accouchement, décès.
Le paraître n’exclut pas le confort. Il le seconde même : le douillet des couches superposées et l’abondance des draperies déployées pour remédier aux courants d’air peuvent aller de pair avec les châlits richement sculptés ou les broderies précieuses et les plumages. La sobriété de la "chambre seigneuriale" du XVe siècle ne doit pas nous abuser.
Dans les châteaux, elle jouxtait habituellement la salle des réunions et des fêtes. Dans l’exposition, elle côtoie les chambres princières des XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècles. Toutes ont en commun, au-delà des évolutions stylistiques, une charge symbolique volontairement affichée devant les hiérarchies subalternes.
Certaines expressions témoignent des usages nés autour du lit. Seule la "noblesse de balustre" avait le privilège d’accéder à la chambre à coucher, tout en restant derrière la balustre qui séparait le lit du reste de la chambre. La "ruelle" désignait l’espace entre le lit et le mur, où l’aristocratie se réunissait pour jouer ou organiser des complots.
Tout change au siècle dernier. Le mobilier Restauration du médecin bordelais François Magendie, celui Art nouveau du grand marchand de céramiques Georges Rouard, ou encore la chambre silencieuse de Nissim de Camondo montrent bien que la "privacy" a désormais conquis toutes les couches sociales... grandes courtisanes et artistes exceptés. Leurs chambres à coucher refusent de devenir des pièces où l’on ne fait que dormir. Le "lit de Valtesse de la Bigne", muse du Zola de Nana, ou la "chambre onirique" de Denis Santachiara continuent à vouloir contredire Francis Jourdain, architecte-décorateur et maître à penser du fonctionnalisme des années vingt et trente, selon lequel "une invitation au repos est le seul propos que l’on puisse tolérer d’un fauteuil", et à plus forte raison d’un lit.
Paris, Musée des arts décoratifs, 11 janvier-30 avril 1995
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"Rêves d’alcôve" : voyages autour de la chambre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : "Rêves d’alcôve" : voyages autour de la chambre