TOURS
Le Centre de création contemporaine Olivier-Debré met en scène l’œuvre vidéo réalisée entre 1997 et 2003 par l’artiste. Tantôt mélancoliques, tantôt drôles, ses films rejouent avec bonheur les codes visuels de l’art et les signes du quotidien.
Tours. Entre 1997 et 2003, Franck Scurti a réalisé une vingtaine de vidéos. Non qu’il ait eu une prédilection pour cette forme – au contraire. Mais le jeune artiste se demandait alors « comment commencer », hésitant à aller vers la sculpture, peignant par intermittence. De cette période, il se souvient comme d’une « crise exquise » : la création, après tout, « est un moment de joie ». Trois ans après avoir obtenu, en 1993, son diplôme d’art – et inauguré, à 28 ans, l’espace du Studio avec une exposition personnelle dans les galeries contemporaines du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou –, Scurti se rend à Chicago, avec en tête une idée de livre conceptuel sur le flipper, dont la ville américaine est le berceau industriel. Sur place, c’est le choc. Il oublie son projet – il conserve depuis une grande méfiance vis-à-vis de la notion de « projet » – et se met à filmer. Des dizaines d’heures de montage plus tard, Chicago Flipper (1997), qui alterne plans urbains et écrans clignotants de billard électronique, témoigne de la violence initiale de sa première impression. L’image se fait bille de métal, propulsant le regard au ras du bitume et des quais de métro. On se tient face à ce film court comme au bord d’un ring. Autour, les écrans s’allument un à un. Éteints, ils ont l’air de tableaux noirs sur lesquels sont tracés au marqueur des titres en écriture cursive blanche.
Quinze vidéos en tout, pour « 15 easy short films » : après lui avoir consacré une première exposition monographique en 1997, le Centre de création contemporaine Olivier-Debré (CCC OD) revient sur cette période où Franck Scurti, qui par la suite ne privilégiera pas de médium particulier, a essentiellement travaillé ici sur l’image et le son. Pour donner à voir aujourd’hui cette production, l’artiste a composé un programme, une sorte de partition : les grands écrans de projection se déclenchent l’un après l’autre, quand les moniteurs télé équipés de casques audio, eux, diffusent en boucle. Pas de banc où s’asseoir, le spectateur doit rester « actif » et déambuler, à la façon dont Scurti lui-même a aimé marcher, de Stockholm, où il déploie ses initiales dans l’espace (What’s my name, 2003), à Milan, où il rencontre le réalisateur Osvaldo Cavandoli. Il lui emprunte le procédé de La Linea, ce dessin animé dont le personnage toujours furieux évolue sur une même ligne droite (La Linea (Tractatus Logico-Economicus), 2001, [voir ill.]). Ailleurs, à Strasbourg, il regarde la vie se refléter dans une chope de bière (Heineken vision, 1999).
Chaque film a son histoire, son énergie et sa tonalité émotionnelle propres : contemplative, mélancolique, absurde, voire franchement désopilante. Et bien sûr, autant de niveaux de lecture que l’on voudra y trouver. Le dispositif invite pour sa part à une approche conceptuelle, un jeu non dénué d’humour sur les codes de la sculpture et de la peinture – depuis le rapport tridimensionnel à l’espace jusqu’à la ligne, en passant par la tache et la couleur : celle des logos publicitaires qui déteignent sur les rugbymen de Colors (2000), lointain rappel des femmes maculées de bleu dans la performance d’Yves Klein. L’histoire de l’art au travers du prisme du quotidien – ou l’inverse : tout à fait dans l’esprit de l’œuvre de Franck Scurti.
Enfin il faut prendre le temps de regarder, dans une salle à part, Certifié pour copie conforme (2011), un entretien filmé entre Ulf Linde et l’historien de l’art Hans Maria De Wolf, ponctué par des vues de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (ou « le Grand Verre »), de Marcel Duchamp, dont Ulf Linde réalisa en 1961 une copie. À sa façon, ce petit film sur l’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle touche au génie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Retour en 15 films courts sur la « crise exquise » de Franck Scurti